ETRE CONTRE LE PORT DU VOILE FAIT-IL DE VOUS UN RACISTE ? Peut-on en parler sans tomber dans la caricature ?
Je n’ai pas pour habitude de hiérarchiser l’humanité sur des critères raciaux, j’ai toute ma vie espéré un monde ouvert, égalitaire et fraternel. Je ne reconnais aucune hiérarchie entre les cultures qui sont chacune une expression de la diversité de tous les hommes. Elles sont liées à leurs situations géographiques et à leurs histoires propres comme une réponse intelligente aux problèmes locaux de l’existence.
J’ai eu à la fois la malchance et la chance d’avoir eu à effectuer mon service militaire dans ce qui fut la dernière colonie française officielle à Djibouti il y a maintenant quarante ans. Malchance d’avoir eu à porter un uniforme pour occuper un territoire sur lequel la domination coloniale avait installé ses pratiques sur un peuple bien loin d’être homogène mais chance d’ouvrir les yeux sur une pensée essentiellement raciste dévoilée.
J’ai pu mesurer à l’occasion comment mes camarades, pourtant de braves français ordinaires, se transformèrent si facilement pour s’assimiler à l’esprit de corps, combien il leur fut facile par instinct grégaire, d’adopter les us et coutumes de la race supérieure. Je n’exagère en rien le tableau. J’y appris un mot qui assemblait bougnoule et macaque pour les contracter en boucaque. C’est ainsi que les fiers soldats, professionnels et appelés du contingent baptisaient les populations Afars et Issas qui pour résumer composaient la population noire selon son origine somalienne ou éthiopienne pour faire simple. Une colonie importante de yéménites formait la troisième composante et pour finir, une petite colonie chinoise se soudait autour du casino où elle faisait ses affaires sans faire de vagues, le tout sous administration coloniale française avec le concours d’une population européenne qui tenait les rouages de l’économie.
.Il y avait quelque chose de surréaliste pour moi de me retrouver là, pris dans mes contradictions qui confrontaient mon anti-colonialisme et la joie de découvrir un monde africain que je ne connaissais pas. Jeune, encore naïf, je fus secoué au plus profond de mon être durant cette année où je sentis se morceler bien des certitudes. Cette terre qui accueillit Henri de Monfreid et Rimbaud fut pour moi une source d’inspiration à la mesure du décors brulant et pierreux, là où commence la vallée du Rift qui traverse une part du continent pour enfanter dans le déchirement de l’écorce terrestre la future ile qui arrivera à terme dans quelques millions d’années. Le désir d’indépendance poussé jusque dans sa gestation géologie. Indépendance qui surviendra pour les djiboutiens deux mois après mon rapatriement et la “quille” qui m’attendait à Villacoublay.
Le racisme, je l’ai observé sous toutes ses facettes et je crois en avoir décelé les causes et ses conséquences dans son implacable réalité. Il nait et se nourrit de la hiérarchisation arbitraire sur des critères distincts de couleur et de cultures, en justification des raisons que l’on donne à la volonté de domination d’un groupe d’humains sur un autre. Il s’accompagne d’un discours qui n’a de variable que le contexte mais jamais de fond. C’est toujours pour le bien du dominé que le dominant opprime, pour le civiliser ou pour sauver son âme, c’est bien connu. C’est toujours mieux que d’avouer le pillage et l’esclavagisme qui sont sa vraie nature mais... chut ! On devient vite un traitre à dire la vérité sur le sujet. La vertu matant le vice, le pur contre l’impur. Il faut hiérarchiser, certes mais pour des raisons valables, indiscutables et si possible divines, ça évite toute discussion car remettre en cause cette vérité ne peut être que blasphème, c’est évident.
Le procédé est éculé mais fonctionne pourtant toujours aussi bien. Les européens ont écumé le monde sur ces deux mensonges de la civilisation et de la religion, la vraie bien entendu, pas celles des païens adorateurs d’idoles sataniques qu’il fallait pour leur bien arracher des griffes de l’enfer qui leur était promis. Celle de celui qui lance sa guerre sainte pour faire régner la loi qui d’après lui est une mission sacrée, une obligation, un devoir ! Et ce serait une faute impardonnable que de ne pas y concourir. Voilà ce qui fait le racisme, l’aveuglement sur les vraies motivations de l’injustice et fournit la bonne conscience qui lui permet d’aller jusqu’à tuer. Au nom de Dieu !
Le premier argument n’est plus de mise car chacun sait à part quelques simples d’esprit qu’aucun peuple ne peut plus se targuer d’incarner la civilisation à lui seul. J’ai cru trop hâtivement que de ce fait, le racisme allait mourir de la perte d’une de ses racines surtout que les frontières devenaient poreuses avec toutes les migrations, les voyages touristiques, le commerce et le brassage des couleurs que tout cela induisait. L’humanité semblait enfin prête pour accéder à son universalité tant espérée par certains philosophes des lumières. L’égalité des hommes était à portée de main si nous le voulions. Mariages métissés, inter-pénétration des cultures pour le meilleur mais c’était sans compter sur le deuxième pilier qui allait nous rappeler que c’était aussi pour le pire.Partout le prosélytisme livre ses guerres d’influence sur tous les continents. Les conservateurs ne voyaient pas cette évolution d’un très bon oeil. Morale en bandoulière, ils résistent comme ils peuvent pour ne pas perdre leurs privilèges, c’est l’unique sens de leurs combats.
Ici les baptistes ou autres pentecôtistes, pour les chrétiens, qui convertissent en Afrique, en Asie et sur le continent sud américain, là les sunnites, salafistes, wahabites, chiites, pour les musulmans qui en font de même parfois sur les mêmes terres, ailleurs ce sont des hindouistes qui se radicalisent voir même des bouddhistes au Myanmar qui s’égarent de leurs préceptes quand ce ne sont pas des juifs qui bombardent la palestine. Aussi sectaires les uns que les autres ils recrutent, ratissant large et les fidèles arborent leurs étendards, affichent leurs appartenances et se comptent pour affirmer leurs forces. Ils défilent dans les rues. Le ton monte ici et là et les morts se multiplient. L’épuration ethnique version confessionnelle peut commencer ravageant déjà le moyen-orient après l’ex-Yougoslavie, la Tchétchénie, l’Afghanistan, l’Iraq, La Syrie, la Libye, le Mali, la Somalie, Kénia etc... etc ! Quel cauchemar !
Toujours les mêmes manipulations et les mêmes manipulateurs. Nos grands parents, au début du vingtième siècle, crurent défendre la patrie quand ils tuèrent et moururent pour des intérêts qui leurs étaient étrangers comme d’autres tuent et meurent aujourd’hui au nom d’un dieu pour des intérêts financiers auxquels ils n’ont et n’auront aucun accès et qui se cachent derrière des prédicateurs corrompus et pervers. Jusqu’à quel degré de désolation irons-nous pour que la sagesse revienne ?
Voila pourquoi je ne vois pas l’ostentation religieuse d’un oeil favorable et qu’on ne me dise pas raciste pour autant si je vous dis que le port du voile islamique me pose problème. Il peut être assimilé à une bannière derrière laquelle se rangent les supporters d’un ordre intrusif qui entend régenter nos pratiques. Le nier au nom de la défense des minorités est une erreur qui pourrait devenir faute. Quand je le vois se multiplier dans nos rues, je le vois comme un marqueur dangereux car je sais que tôt ou tard d’autres voudront répondre comme dans d’autres contrées pour les mêmes raisons et je redoute de voir des croix pendre sur des poitrines pour affirmer la prééminence des uns sur les autres. Déjà les identitaires battent chez nous le rappel des troupes pour nettoyer le pays et c’est bien le racisme qui en sort gagnant. Des deux côtés ! Ne pas le voir est criminel et suicidaire et rien ne sert de nous renvoyer aux croisades.
Vivre sa spiritualité est un cheminement personnel et toutes ses formes sont légitimes. L’Islam a donc sa place dans la république au même titre que les autres confessions et je serais malgré mon agnosticisme irréductible un défenseur de ses droits comme celui des autres religions mais cela ne veut pas pour autant dire que je défends son intrusion dans l’espace que je partage avec elle. Je n’impose pas mes règles et espère la réciprocité pour le souci d’une vie commune apaisée dans le respect neutre de la loi sur laïcité et la liberté de conscience. La laïcité est la neutralité réciproque de l’état et du culte.
Tous ces appels moralisateurs et insistants sur le sujet sont déplacés quand il s’agit de plaider en faveur d’un seul point de vue et décider par avance qui a le droit ou pas d’exprimer une opinion sur le sujet est un abus inquisiteur. Que des femmes portent le foulard n’est pas grave en soi, je le reconnais bien volontiers mais vous ne ferez pas croire que toutes ces femmes qui le portent sont pieuses et vertueuses alors la question du port du voile est légitime car si ce n’est pas toujours la religion qui le motive, à quel titre le portent-elles ? Sa généralisation même le rend suspect car chacun peut comprendre que des femmes fassent le choix d’une vie pieuse et nous serions assez tolérants pour admettre qu’elles aillent au bout d’une démarche qui les concerne mais croyez-vous sincèrement que toutes les musulmanes soient sur ce registre ? Quand une religion impose ses règles elle devient celle des hypocrites qui s’y plient sans conviction intime.
Raciste ? Me rétorquez-vous ? Allons donc ! Ne serait-ce pas l’hôpital qui se fiche de la pitié ? Le racisme se décline sous bien des formes et quand la Oumma “s’hermétise”, ne tombe-t-elle pas elle même dans ce travers par son exclusion sectaire ? La neutralité impose la discrétion et l’ostentation n’est pas neutre. Le droit à l’apostasie refusé, les mariages multi-confessionnels refusés et pourtant combien nous parlent du voile au nom de la liberté?
L’humanité souffre de son sectarisme. Le promouvoir est bien étrange. Il m’arrive de voyager et d’aller dans des pays musulmans et je ne leur impose pas un crucifix ou une kippa ou bien encore ma consommation d’alcool et condamne tout autant ces occidentales qui s’y rendent en short ou en robes courtes dans un tourisme de consommation. Question de respect et de neutralité là aussi. Je ne jète pas la pierre sur une communauté pour le plaisir de lui nuire, je lui demande de réfléchir à la signification réelle de son choix pour décider elle-même de sa conduite à tenir mais je tenais à présenter mes arguments sans passion ni haine pour signifier que la vérité n’est pas forcement celle de celui qui parle le plus fort même avec insistance.