Philippe Quirion

Economiste, directeur de recherches au CNRS, CIRED

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Billet de blog 25 février 2016

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Changement climatique: l’Europe à la traîne

Jusqu’à ces dernières années, si l’action de l’Union européenne était déplorable à bien des égards (l’application aveugle des critères de Maastricht en particulier), son action en matière de protection de l’environnement fournissait au moins une sorte de lot de consolation. Si ce n’est plus le cas, comment peut-on espérer que les citoyens soutiennent encore le projet européen ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis l’émergence du changement climatique comme enjeu politique international, à la fin des années 1980, l’Europe s’est toujours présentée comme la région du monde la plus exemplaire, par son rôle moteur dans les négociations internationales et par l’ambition des politiques qu’elle mettait en place. Et jusqu’à ces dernières années, il y avait du vrai dans cette vision des choses – en particulier par comparaison avec l’action des gouvernements conservateurs aux Etats-Unis, en Australie, au Japon ou au Canada, destinée principalement à empêcher tout accord international ambitieux et toute politique nationale volontariste. Hélas, pour qui prend la peine d’étudier un peu les chiffres, tel n’est plus le cas. Ce constat n’est pas nouveau ; il avait déjà été formulé en février 2014 par un groupe de chercheurs européens. Depuis, hélas, la situation n’a fait que se dégrader.

Un vaisseau amiral en perdition

Sur le marché européen des quotas de CO2 – présenté par la Commission européenne comme le « vaisseau amiral » des politiques climatiques communautaires, le prix de la tonne de CO2 est tombé à 5 euros, contre 7,5 à Shenzhen (Chine), 12 en Corée du Sud, et plus de 11 en Californie et au Québec. A un prix aussi bas, ce marché n’a aucune utilité, sauf pour le crime organisé. Cet effondrement du prix s’explique par plusieurs facteurs : l’afflux de crédits carbone générés par les mécanismes du Protocole de Kyoto, censés refléter des réductions d’émissions dans d’autres pays, en fait largement fictives ; la crise économique qui réduit les émissions, en particulier dans les secteurs produisant les matériaux de construction ; le développement des énergies renouvelables, soutenu par certains Etats membres mais freiné plutôt qu’encouragé par la Commission européenne, comme nous allons le voir. Quant au projet de réforme du système proposé par la Commission européenne, il laisse les chercheurs comme les parties prenantes dubitatifs, et n’a pas empêché l’effondrement du prix des quotas.

Energies renouvelables : un sabotage organisé

En matière d’énergies renouvelables non plus, l’Europe n’est plus le leader. Sur les 432 gigawatts (GW, ou milliards de Watts) d’énergie éolienne en fonctionnement dans le monde fin 2015, 145 (un tiers !) l’étaient en Chine, plus que dans toute l’Union européenne (142 GW). Pendant la seule année 2015, la Chine a installé 30 GW d’éolien contre 13 dans l’Union européenne – parmi lesquels la moitié en Allemagne, ce qui est révélateur de la frilosité des autres Etats membres. En matière de solaire photovoltaïque, ce n’est pas mieux : en 2015, la Chine a détrôné l’Allemagne à la première place des capacités installées avec 43 GW soit environ 17% du total mondial, estimé à 256 GW (chiffres provisoires). Pour le solaire thermique et le biogaz, la Chine est également depuis longtemps en tête, et de nombreux autres pays émergents installent aujourd’hui les renouvelables à un rythme bien plus rapide que les grands pays européens. Ainsi, en 2015, le Brésil a installé 2,8 GW d’éolien, soit plus du double de n’importe quel pays européen hormis l’Allemagne.

Surtout, juste avant la fin de son mandat, la Commission Barroso a publié des lignes directrices sur les aides d’Etat en matière d’énergie invitant à mettre fin à la politique publique qui s’était avérée la plus efficace pour développer les énergies renouvelables, à savoir les tarifs d’achat garantis. Ceci, malgré la mise en garde de plusieurs économistes européens de premier plan. La Commission Juncker, elle, reste sur la même ligne et les Etats membres qui avaient recours aux tarifs d’achat garantis comme l’Allemagne et la France s’empressent d’appliquer ces lignes directrices – qui ne sont pourtant pas juridiquement contraignantes – alors même qu’ils n’hésitent pas à s’asseoir sur des règlements et directives européens qui sont, eux, juridiquement contraignants, en matière de pollution de l’air ou de l’eau, quitte à payer régulièrement des amendes qui se comptent en centaines de millions d'Euros.

Efficacité énergétique : l’Europe en tête mais pour combien de temps ?

En matière d’efficacité énergétique, ce n’est guère mieux. Certes, sur le papier, la règlementation qui limite les émissions de CO2 des voitures est plus ambitieuse en Europe qu’ailleurs dans le monde (sauf au Japon). Mais selon l’Agence européenne de l’environnement, l’écart entre les émissions de CO2 estimées par le test européen actuel et les émissions réelles atteint 40 à 45%, alors que cet écart n’était que de 8% en 2001. Un nouveau type de test doit être mis en place en 2017 mais comme pour le test actuel, le lobby des constructeurs automobiles fait tout pour multiplier les échappatoires permettant de sous-estimer les émissions réelles et de faciliter, sur le papier, le respect de la règlementation.

L’efficacité énergétique des avions de ligne n’est pour l’instant soumise à aucune règlementation, mais l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) prépare un projet de ce type. L’Europe pousse-t-elle à le renforcer ? Au contraire, s’alignant sur la position d’Airbus, elle fait son possible pour affaiblir encore la proposition déjà bien pâle de l’OACI. En matière d’efficacité énergétique des camions, même les Etats-Unis sont aujourd’hui plus avancés que l’Europe, qui s’aligne systématiquement sur les propositions émanant de ses industriels.

Et maintenant ?

Le texte adopté lors de la COP 21 a clairement pointé l’incohérence entre l’objectif de long terme de l’Accord de Paris1, extrêmement ambitieux, et les engagements des Etats (les INDC), nettement insuffisants. On pourrait donc espérer que l’Union européenne revoie à la hausse ses engagements actuels, qui consistent à réduire de 20% ses émissions en 2020 et de 40% en 2030, ceci par rapport à 1990. Ces chiffres sont en réalité bien moins ambitieux qu’il n’y paraît, parce que les émissions en 2014 étaient déjà à 23% en dessous de celles de 1990. Parmi les raisons de cette baisse figurent certes les politiques mises en œuvre en Europe (en matière d’énergies renouvelables et d’amélioration de l’efficacité énergétique en particulier) mais aussi les réductions massives d’émissions entraînées par l’effondrement des économies planifiées des pays de l'ex-bloc soviétique après 1990, et par la crise économique depuis 2009. Selon les projections de l’ONG Sandbag, qui se sont jusqu’à maintenant avérées plus fiables que les projections officielles, les émissions européennes devraient être à 30% en-dessous de 1990 en 2020, même en l’absence de nouvelle politique.

Sandbag plaide donc pour renforcer l’objectif 2030 à hauteur de -50%, les associations européennes réunies au sein du Climate Action Network réclamant même -55%, un objectif parfaitement atteignable selon un rapport du bureau d’étude Ecofys. Nombreuses sont les propositions concrètes pour que l’Europe retrouve son rôle de leadership en matière d’instauration d’un prix du carbone, d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables.

Et pendant ce temps-là, que fait la Commission Juncker ? Au nom de la sécurité énergétique, elle se focalise sur la construction de nouvelles infrastructures gazières, qui vont augmenter les émissions de CO2. Quant aux Etats-membres, ils défendent systématiquement les intérêts à court terme de leur industrie au détriment de ceux des victimes du réchauffement. Pourtant, le prochain sommet des chefs d'état européens les 17 et 18 mars pourrait être l'occasion d’enclencher le nécessaire changement de direction de la politique européenne, et en particulier de préparer la communication d’une nouvelle INDC européenne avant 2018, date du premier « dialogue de facilitation pour faire le point des efforts collectifs déployé en vue d’atteindre l’objectif à long terme » de l’Accord de Paris.

Jusqu’à ces dernières années, si l’action de l’Union européenne était déplorable à bien des égards (l’application aveugle des critères de Maastricht en particulier), son action en matière de protection de l’environnement fournissait au moins une sorte de lot de consolation. Si ce n’est plus le cas, comment peut-on espérer que les citoyens soutiennent encore le projet européen ?

Philippe Quirion, directeur de recherche au CNRS, CIRED

1 « [Contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».

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