Mardi 11 Juillet 2017 : Nîmes
Écrire son journal, quand il ne se passe pas grand chose dans son existence. Difficile. Une certitude : c'est l'été et j'apprécie à leur juste valeur les cigales, fidèles compagnes de ces jours de chaleur, ma piscine de privilégié, mes oliviers, ma maison blanche, œuvre conjointe signé Patrice Lutier, Architecte, ami, de son état. Ses formes droites, californiennes, ses toits terrasses, ses baies vitrées de toute dimension, qui laissent passer la lumière, sa géométrie anguleuse, son audace. Une œuvre. Je ne quitte pas l'oliveraie de ma garrigue de l'été. A quoi bon de rallier un autre lieu de chaleur, avec plein de monde, de touristes si désespérément inélégants, avec piscine... ?
Disciple, là, d'Alain, le philosophe, qui écrivait en 1925, dans ses « propos sur le bonheur » : « Pour mon goût, voyager, c'est faire à la fois un mètre ou deux, s'arrêter et regarder un nouvel aspect des choses. Souvent, aller s'asseoir un peu à droite ou un peu à gauche, cela change tout et bien mieux que si je fais cent kilomètres. » Les voyages les plus dépaysants sont peut-être les plus minuscules. Je suis assez sensible, cet été à apprécier, chez moi, ces infimes vibrations de formes, de lumière, de couleurs, renouvellement des sens...
Le temps de penser à ma maman, qui a 88 ans, vis autonome dans son village de Normandie, à équidistance, dans les terres, de Dieppe et du Tréport. Pourquoi me persuader qu'elle ne m'a jamais aimé, jamais parlé, jamais soutenu, dans les mois après la mort accidentelle , le 24 Août 1994, de mon fils Boris. Il avait 14 ans. Je continue, après une mure réflexion, de me persuader de cela.
Le temps de penser à mon petit frère Stéphane, décédé seul et oublié du monde, à Aubervilliers, il y aura bientôt deux ans.
Le temps de penser à Evelyne, ma belle sœur, si désespérée après le décès de son Antoine si belle, mais si seule elle aussi.
Le temps de penser quotidiennement à ma fille Marilyn, qui vit dans son Queyras, tout prêt du cimetière où repose son frère et sa maman, à l'abri de la pollution, si belle, si lumineuse, si humaine, si chaleureuse, si aimante, si progressiste, si moi...
Le temps de regarder sur Arte une superbe série : « Berlin 56 » : Caterina Schöllack dirige une prestigieuse école de danse berlinoise. Sa plus grande préoccupation est de marier ses trois filles, Monika, Eva et Helga, à des gentlemen bien établis et de bonne famille, afin de conserver les traditions dans son école de danse “Galant”.
Toutefois, Monika vit difficilement son entrée dans l’âge adulte et son rôle en tant que femme , à cette époque. Elle est en effet fascinée par un tout nouveau monde fait de coiffures banane, de vestes en cuir, de jupons et de rock and roll. Monika, elle est lumineuse, libre, franche, passionnée. Elle est splendide.
Le temps de commencer un nouveau bouquin : « le Chasseur d'Histoires », d'Eduardo Galéano : Auteur d'un livre mythique, Les Veines ouvertes de l'Amérique latine, dénonciation magistrale de l'impérialisme colonial et de la prédation économique, l'uruguayen Eduardo Galeano, décédé en 2015 après une vie de combats et d'exils, fut une figure charismatique de la contestation politique et de la littérature. Dans Le Chasseur d'histoires, publié chez Lux, il nous livre son testament de poète, d'historien et de moraliste : un enchaînement scintillant et émouvant de dits, de moralités, d'anecdotes noires et de récits légendaires...
C'est le temps de l'été, celui que l'on se donne :
Le temps, le temps
Le temps et rien d'autre
Le tien, le mien
Celui qu'on veut nôtre …