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Billet de blog 25 août 2017

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mercredi 25 août 2017 : Aiguilles en Queyras

On a tous un jour maudit, que l'on souhaiterai bannir du calendrier. Pour ma part, c'est le 25 août - bien qu'il marque la Libération de Paris-.

Ce 25 Août 2017 ressemblera à tous les autres. Jour d'infinie tristesse et de silence.

Il y a 23 ans, jour pour jour, ma vie a basculé, et j'ai vécu la pire journée de mon existence. Je reprenais mon job de directeur général de l'OPHLM d'Aubervilliers. Nous étions rentrés à Saint-Denis avec Mo, la veille, d'Aiguilles en Queyras, où nous étions en vacances, avec un groupe d'amis. Je déjeunais avec le directeur des services techniques, au « Roi du couscous », l'un de nos restos préféré, à La Plaine Saint-Denis. À 12h45, un coup de fil de mon pote Christian, toujours à Aiguilles  : « Philippe, Boris est mort ». Trois mots incroyables et définitifs dans leur netteté et l'évidence de l'irréparable. Vingt ans après, je me retrouve comme si c'était hier, déchiré, abasourdi, comme dans un vide infini . Je nous revoie deux jours avant, où, de retour d'une rando, en buvant un pot aux Roux d'Abriès, j’eus une envie instinctive de le photographier, malgré ses réticences. J'ignorai que ce serait les dernières : son beau sourire, plus beau encore, sa grâce. Je pleure rien que d'y penser. Le pire, ce 25 Août 1994 était là : la mort de l'enfant. Il n'y a pas de pire peine. Il venait d'avoir 14 ans, fauché, en voulant esquisser un demi tour à vélo, par l'une des rares voitures empruntant à midi trente, la longue ligne droite qui relie Aiguilles à Abriès... Monique, sa maman, ne voulait pas qu'il reste. En déjeunant près de Grenoble, elle me dit : « Je me suis fait tirer les cartes, il y a la mort d'un enfant ». Elle ne s'en remettra jamais. Un cancer du sein, guérit, puis rejailli après le drame, et un inconsolable et infini chagrin. Le six août 2001, elle rejoignit son fils dans le petit cimetière d'Aiguilles, en haut du village.

Quand à moi, je ne comble aucune absence, la mesure est déjà comble, mais j'essaie d'habiter – comme je peux – ce vide. Certains de mes amis catholiques tentaient d'atténuer mon chagrin dans la mesure, disaient-ils ou dieu rappellent à lui les meilleurs de nos enfants, pour en faire des anges.... Il était un ange laïque et une vie d'artiste s'ouvrait devant lui. Quelques semaines avant ce jour fatidique, il jouait au Festival de Pau de Roger Hanin « La ville dont le prince est un enfant » avec Cristophe Malavoy et Guillaume Canet, pièce qu'ils avaient joué plusieurs semaines au Théâtre Hébertot. A la télévision, plusieurs téléfilms, séries de l'été telles les Grandes Marées. L'instit. Il était le fils du Commissaire Moulin. Effondré, Yves Rénier m'a assuré qu'il n'aurait plus jamais de fils dans sa série, et il a tenu parole. Quelques films de cinéma et puis beaucoup de doublages. La petite voix de « Toto », dans cinéma Paradisio, c'était lui, celle de Macaulay Culkin dans Maman j'ai raté l'avion et le suivant, c'était lui, deux films qui me renvoient au cœur du drame, en entendant sa voix, chaque année, ponctuellement, en fin d'année...

Ce 25 Août 1994, je prenais conscience du vide immense qui venait de nous absorber, dans ce qui n'était encore que l'aube foudroyante d'un déchirement et l'intuition d'un effondrement absolu. 23 ans après, ce 25 Août 2017, le chagrin, indicible, n'a pas reculé d'un pouce.

« Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence. » (René Char). J'ai froid.

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