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Billet de blog 3 novembre 2022

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DESERTS MEDICAUX : ERREUR DE DIAGNOSTIC ET FAUSSE THERAPEUTIQUE

La question des zones médicales sous denses est abordée à l’envers. Le déficit de médecins n’est pas la cause mais la conséquence d’une politique d’aménagement du territoire qui a créé des déserts administratifs, économiques, sociaux, culturels. L’Etat peut mettre en place toutes les incitations possibles, les médecins ne s’installeront pas dans les petits Sahara de la douce France.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous reprendrez bien un peu de désert….médical ? Le sujet et la polémique sur les zones médicalement sous denses dans lesquelles « on ne trouve plus de médecins » ont été relancés avec l’idée du Ministre de la santé de créer, dans le cadre du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, une 4e année d’internat de médecine générale pour mettre à égalité le niveau de formation de cette spécialité avec les autres et de pallier le déficit de médecins, ce supplément de formation devant se dérouler dans ces fameuses zones sous denses. Devant les protestations générales, François Braun a fait marche arrière et s’est un peu pris les pieds dans le tapis en déclarant que l’installation dans les déserts ne serait pas obligatoire mais incitative et qu’il s’agit surtout d’améliorer la formation.

Outre l’ambigüité du statut de cet internat à la campagne – encore en formation, un interne ne peut pas prescrire et doit être supervisé par un sénior -, cette mesure ne marchera pas plus que toutes les incitations inventées depuis 20 ans. C’est en effet depuis le début du siècle que la question des « déserts médicaux » est posée et revient avec la régularité d’un métronome dans le débat. Entre les majorations d’honoraires pour les médecins qui accepteraient de s’installer dans ces zones désertiques, les infirmières en pratique avancée pouvant réaliser des actes médicaux, la garantie de revenu pour des médecins s’implantant dans ces zones, tout a été essayé, par l’Etat et l’Assurance-maladie, sans parler des initiatives des collectivités locales, finançant cabinets médicaux, logement et salaires aux praticiens, sans oublier la chasse aux médecins étrangers.

Pour quel résultat ? Aucun. Les déserts sont toujours autant désertiques et ils ont même tendance à progresser.

Comme il faut bien un responsable, voire un coupable, à cet échec, tout le monde pointe du doigt le « numerus clausus ».

Le numerus clausus a une bonne tête de coupable mais rien n’est plus faux. Pour abracadabrantesque qu’il ait été – déterminé au doigt mouillé sans évaluation prospective des besoins médicaux – le numerus clausus instauré dans les années 70 n’est en rien responsable de la pénurie de médecins pour la simple raison qu’il n’y a pas de pénurie de médecins mais un déficit de l’offre médicale, ce qui n’est pas la même chose.

Il a été mis en place pour réguler l’entrée dans les études médicales et stabiliser la démographie médicale à une époque où, chaque année, 60 000 étudiants s’inscrivaient dans les facultés de médecine. Par la suite, il a été instrumentalisé par le lobby médical pour obtenir une réduction du nombre de médecins selon le principe économique bien connu que ce qui est rare est cher. Or, un grand nombre de médecins rend plus difficile la négociation tarifaire avec l’Assurance-Maladie, laquelle, d’ailleurs, voyait un certain avantage à la limitation du nombre de médecins qui, en réduisant l’offre médicale, modérait l’augmentation des dépenses.

Avec cette alliance objective baroque, le discours sur la perspective d’une démographie médicale excessive à partir de l’an 2000 a fonctionné à plein régime et le numerus clausus s’est transformé en couperet. De 11 000 en 1971, il est descendu à 5000 dans les années 80-90 pour atteindre le point bas en 2005 de 3500. C’est à ce moment que l’on s’est avisé d’un réel risque de pénurie et qu’il a commencé à être réhaussé pour atteindre, étape après étape, le niveau de 10 000 en 2021, année de sa suppression.

C’est donc in extrémis que cette politique malthusienne n’a pas provoqué de pénurie de médecins. Toutes les études sur la démographie médicale montrent qu’il n’y a jamais eu de baisse sensible et durable du nombre de médecins mais une stagnation. D’ailleurs, le nouveau système de régulation a fixé pour les 5 prochaines années à 51 000, le nombre d’étudiants en médecine à former, soit à peine plus que les 10 000 annuels du numérus clausus. De ce point de vue-là, rien de nouveau sous le soleil.

Depuis le début du siècle, le nombre de médecins n’est jamais descendu en dessous de 200 000 mais avec des variations sensibles selon les spécialités dont certaines sont en effet en sous-effectif.

La réalité est que l’offre médicale, le temps de cerveau médical disponible, est en baisse en raison d’une évolution culturelle et sociologique qui n’a pas été anticipée et surtout fait l’objet d’une absence totale de prise en compte.

Les nouvelles générations de médecins ne sont plus des moines-soldats ne comptant pas leurs heures et disponibles sans limite pour leurs patients. Il suffit de voir ce qui s’est passé avec la permanence des soins. Depuis que l’obligation de la garde a été supprimée en 2005, le nombre de généralistes prenant des gardes se réduit d’année en année. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un généraliste sur deux assurant la permanence des soins.

A l’image de la société, les médecins aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Même s’il reste supérieur à la moyenne, leur temps de travail s’est réduit.

En outre, la profession s’est féminisée au point d’être quasiment paritaire aujourd’hui et dans certaines disciplines, surtout cliniques, les femmes médecins sont majoritaires. Et – ce n’est pas sexiste mais seulement le résultat d’études sociologiques – le choix d’un exercice à temps partiel ou partagée avec une pratique hospitalière ou autre est plus répandue chez les femmes médecins, sans parler des mises entre parenthèse pour cause de congés maternité.

La conséquence de cette évolution est que, tant en ville qu’à l’hôpital, des milliers, peut-être même des dizaines de milliers d’équivalents temps-plein, manquent à l’appel. Il y a un déficit de disponibilité médicale mais pas de pénurie de médecins dont le numerus clausus serait la cause comme une analyse rapide de l’évolution de la démographie médicale le démontre.

La démographie est une science relativement exacte et ne peut s’apprécier que si on regarde les mouvements à l’échelle des générations.

On ne peut analyser la démographie médicale que si on a constamment en tête la longue durée des études médicales, entre 10 et 14 ans selon les spécialités. Les évolutions, dans un sens comme dans l’autre, « du stock » de médecins sont lentes parce que le « flux » se dilue dans le temps.

Ainsi, lorsque le numérus clausus est instauré en 1971, il y a un « stock » de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants en médecine qui seront sur « le marché » au cours de la décennie en cours et au début de la suivante.

Les premières classes creuses issues du numerus clausus arriveront en activité à partir du milieu des années 80 et dans la décennie 90. Mais le solde démographique restera positif en raison de la présence sur le marché des générations pleines issues des années 70.

La tension relative apparait entre 2010 et 2020 parce que cette période est celle du télescopage entre deux phénomènes : l’arrivée en activité des dernières classes creuses du numerus clausus et le départ en retraite des générations pleines ayant commencé leur activité dans les années 70-80.

Avec la remontée du numérus clausus à partir de 2005, les premières générations plus nombreuses arrivent en activité depuis 2015-2016 alors même que les générations creuses commencent à « sortir ». A ce jour, on est dans une sorte de faux plat où « entrées » et « sorties » sont à peu près à égalité. Mais, - et c’est la bonne nouvelle – à partir des années 2024-2025, le solde devrait redevenir positif : il y aura plus de nouveaux médecins commençant leur activité que de médecins pliant bagage.

Cela réglera-t-il, par un effet mécanique et magique, la question des déserts médicaux ? En aucune manière.

Pour comprendre le problème des déserts médicaux, il faut interroger le concept même de désert médical.

Dans l’expression « désert médical », il y a désert. Les zones sous-denses, en mal de médecins, sont des petites villes, des communes à la limite du village, plus ou moins éloignées d’une agglomération.

Dans ces communes, l’Etat, pour des raisons de rationalité, d’économie, d’optimisation des ressources a, au fil des ans, fermé les écoles, l’hôpital, la caserne, la gendarmerie, la trésorerie publique, le bureau de poste, la sous-préfecture, la gare et les petites lignes de chemin de fer. De leur côté, faute d’une chalandise - c’est-à-dire d’une population permettant la rentabilité – les commerces (alimentaire, bureaux de tabac, pharmacie, etc.) ont fermé. Il ne reste que l’église mais sans curé, « cette profession » ayant aussi un problème démographique.

La question qui se pose est de savoir pourquoi un médecin irait-il s’installer dans une commune charmante et tranquille mais où il n’y a ni emploi pour son/sa conjoint(e), ami(e), ni école pour ses enfants, ni commerce, ni ressource culturelle ou de loisir, ni possibilité de créer un réseau médical avec des confrères, des infirmières, des paramédicaux et où il se ruinerait en essence pour assurer la visite de ses patients ? A ce compte-là, autant lui demander de s’installer dans le Sahara.

La question des déserts médicaux est un symptôme de la fracture territoriale, de ce clivage entre les villes et ces territoires abandonnés. Elle est indissociable d’un des enjeux majeurs de la politique : l’attractivité des territoires. L’Etat, les collectivités, les politiques ont méthodiquement organisé la désertification en initiant une sorte de cercle vicieux où la fermeture d’un service public entrainant une baisse de la population, justifiait la fermeture d’un deuxième et ainsi de suite…

L’enjeu est de prendre le problème dans sa globalité. La responsabilité politique est d’inverser ce processus de fracture territoriale et au fond, de suivre la préconisation d’Alphonse Allais selon laquelle « il faut mettre les villes à la campagne » et celle de Ferdinand Lop qui consiste à « prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer ».

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