Le Général de Gaulle disait « qu’il s’embarquait vers l’Orient compliqué avec des idées simples ». Dans son dernier livre, Jean de Kervasdoué emmène ses lecteurs dans l’univers compliqué de la santé avec des idées simples mais terriblement efficaces et lumineuses.
L’ancien directeur des hôpitaux au ministère de la santé - aujourd’hui professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers après y avoir créé et dirigé la chaire d’économie de santé, - dont on ne compte plus les livres et les articles décryptant les réalités de notre système de santé et en dénonçant les failles récidive si on peut dire.
Conçue comme une sorte d’abcédaire, « La santé à vif » (1) fait le tour de notre système de santé à partir de quelques mots clés.
Alors que la crise du Covid a révélé la faillite de ce système autrefois présenté comme le meilleur du monde et que la course à l’échalote des solutions les plus démagogiques et les plus inefficaces est lancée, il est d’utilité publique de recadrer le débat, de connaitre les fondements d’un domaine en effet complexe et d’éviter les FBI, les fausses bonnes idées.
La première fausse bonne idée est la confusion entre santé et médecine. La santé, ce n’est pas la médecine et réciproquement. Mais, en France on mélange tout. Les médecins ont monopolisé le discours sur la santé. Résultat, on n’a pas de politique de santé mais au mieux une politique médicale ou plus exactement une politique de médecins. Or, « la médecine s’intéresse à des personnes qu’elle s’efforce de soulager, voire de guérir et pour cela les médecins les prend en charge, les informe, les rassure et quand il peut les soigne avec les outils diagnostiques et thérapeutiques du moment. La santé publique est d’une autre nature car elle a pour unité d’analyse non pas une personne mais une population atteinte d’une maladie ou d’un facteur de risque », écrit J de K.
Le Covid a mis en lumière ce hiatus et cette incompréhension. Pour gérer cette crise, il a fallu improviser un Comité scientifique pour éclairer et conseiller les responsables politiques, à commencer par le Président de la République qui s’est mué en chef épidémiologiste. Normalement, le ministère de la santé devrait être le ministère de la santé publique et avoir la capacité à gérer ce genre de crise et disposer des moyens nécessaires à commencer par des masques….
Et tout est à l’avenant dans notre système. Ainsi, la prévention, le parent pauvre dont tout le monde déplore les insuffisances. Quand un politique ne sait pas trop quoi dire sur la santé, il affirme qu’il va développer la prévention parce c’est une source d’économies car il vaut mieux prévenir que guérir.
François Braun est – bonne nouvelle – ministre de la santé ET de la prévention. Il annonce tous les jours qu’on va voir ce qu’on va voir dans ce domaine. Avant de se lancer tête baissée dans le développement de la prévention, on ne saurait trop lui conseiller la lecture de » la Santé à vif ». Il apprendra que « quand la prévention est efficace, les personnes prévenues vont vivre plus longtemps que celles qui n’ont pas écouté les sages conseils des hygiénistes. Néanmoins, elles aussi un jour, mourront de quelque chose…. » qu’il aura fallu soigner et donc mobiliser des ressources.
Le locataire de l’avenue de Ségur aura aussi une feuille de route. « On utilise ce terme (la prévention) pour décrire des politiques bien différentes. Le dépistage n’est pas la vaccination qui n’est pas l’éducation pour la santé qui n’est pas le confinement qui n’est pas la limitation de vitesse imposée aux automobilistes, …». Alors qu’est-ce que la prévention ?
A lire Jean de Kervasdoué, on comprend qu’il s’agit d’un exercice à hauts risques politiques. « A l’exception de l’éducation de la santé, la prévention est le plus souvent liberticide. Jusqu’où faut-il contraindre au nom de la santé ? La privation de liberté n’est justifiée que si le comportement des uns peut nuire à la santé des autres ».
Cette question a été au centre des décisions politiques pendant le Covid où confinement, distanciation, vaccination surfaient sur ce dilemme entre liberté et nécessité de santé publique. On souhaite du courage à M Braun.
C’est le mérite de ce livre que de passer en revue tout le champ de la santé pour en démonter les faux semblants et les incompréhensions.
A cet égard, les acteurs du système sont étrillés, à commencer par les médecins libéraux qui – ils n’en n’ont pas conscience – mais n’ont de libéraux que le nom. En effet, « la médecine de ville n’est libérale que parce qu’elle prétend l’être selon les principes que la profession a elle-même définis il y a bientôt un siècle. Ceux qui connaissent aussi les principes de l’économie libérale savent que le libéralisme économique se marie mal avec un monopole, fût-il celui de la profession médicale qui se réserve le droit d’exercice de son art. » Voilà qui est dit. Si on ajoute à cela que la Sécurité sociale solvabilise l’activité des médecins qui ont donc une garantie de ressources publiques, on comprend que la médecine de ville est tout ce que l’on veut sauf libérale….
L’hôpital n’est pas épargné non plus. La crise qu’il traverse aujourd’hui n’est pas celle que l’on croit. Elle résulte de décennies d’errement, d’absence de réflexion sur le rôle de l’hôpital, de lourdeur administrative, de modes de financement aberrants, de sédimentation de corporatismes.
Pour finir, Jean de Kervasdoué dresse un inventaire des réformes nécessaires mais structurantes sur l’ensemble du système. Il faudrait du courage politique pour les mettre en œuvre. Or, la conclusion du livre a des allures de requiem. « La remarque apocryphe attribuée à Bossuet : Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes, s’applique particulièrement bien à la politique de santé pour laquelle il faut certes des idées mais aussi du courage. Jusqu’ici, il a manqué ».
(1) Jean de KERVASDOUE « LA SANTE A VIF ». Ed HumenSciences. 19,90 € https://www.humensciences.com/