Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

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Billet de blog 18 janvier 2023

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REFORME DES RETRAITES, ASSEMBLEE NATIONALE : LA DERIVE POPULISTE DE MELENCHON

Une partie de la gauche – essentiellement LFI – conteste la légitimité du Président de la République au motif qu’il a été élu grâce à un front républicain, anti Le Pen. Non seulement, Emmanuel Macron n’est pas le premier dans ce cas mais cette position représente une menace pour la République et la démocratie.

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Dans une tribune publiée dans le Monde, le 5 janvier, un collectif d’élus EELV, avec à leur tête Yannick Jadot, développait l’idée qu’Emmanuel Macron « ne peut pas se prévaloir du vote des électeurs en avril pour imposer la réforme des retraites sous prétexte qu’il l’avait inscrite à son programme. Celui-ci n’a reçu l’assentiment que d’un électeur sur cinq au premier tour de la présidentielle. Comme beaucoup de nos compatriotes, nous avons voté pour lui au second tour pour faire barrage à l’extrême droite ».

Que le candidat écologiste - qui n’a recueilli que 4,63% des voix au premier tour de l’élection présidentielle – conteste la légitimité de celui qui en obtenu 27,85% et a été élu à 58% au second laisse songeur. Inconséquence ou irresponsabilité ?

Ce ne serait pas très important s’il était seul sur cette position mais le problème est que cette petite musique sur l’illégitimité du Président de la République est une partition largement jouée par une partie de la gauche, en particulier à LFI. Plusieurs leaders Insoumis martèlent cette thèse sur les plateaux de télévision, ajoutant que la légitimité du Président est d’autant plus contestable qu’il n’a obtenu qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale.

Il suffit de voir les compromis et parfois les contorsions auxquels le gouvernement doit se livrer pour obtenir le vote des projets de lois qu’il soumet au Parlement pour confirmer que cette situation – inédite sous la Ve République – est compliquée. Mais cela remet-il en cause la légitimité du gouvernement et plus encore celle du Président de la République ?

Cette affirmation est une incompréhension des logiques électorales et revient à mettre le doigt dans un engrenage dangereux pour la démocratie, une forme de populisme à la mode trumpiste ou bolsonariste.

                                                                       Le précédent du Général de Gaulle

Le principe d’une élection à deux tours est de constituer une majorité de regroupement. Selon la formule consacrée, « au premier tour, on choisit, on second, on élimine ». Tous les Présidents de la Ve République ont été élus selon ce schéma, les électeurs des candidats éliminés au 1er tour se reportant sur l’un ou l’autre des deux finalistes.

Le front républicain est le stade ultime de cette notion de rassemblement. On peut le définir comme étant l'expression d’une partie de l’électorat qui, à l’appel plus ou moins ferme des leaders politiques, estime qu’un candidat représente un danger pour les intérêts supérieurs du pays et de la démocratie et se reporte sur l’autre candidat malgré son opposition à ses idées et à son projet.

Cela remet-il en cause la légitimité de l’élu ? En aucune manière. En effet, si celui qui est élu à la majorité des suffrages exprimés est illégitime, qui est légitime ? Les éliminés du 1er tour ?

Cette mise en cause de la légitimité du Président élu sur la base d’un front républicain est historiquement fausse et politiquement dangereuse.

Historiquement fausse parce que plusieurs Présidents – et non des moindres - ont été élus sur la base d’un Front républicain même si le concept et le nom sont apparus récemment. Le premier à « en bénéficier » n’est rien moins que le Général de Gaulle.

En 1965, lors de la première élection au suffrage universel du Président de la République, le Général décide de ne pas faire campagne. Fort de sa dimension historique, et plus encore du bilan de son premier mandat – fin de la guerre d’Algérie, restauration du prestige de la France, plein emploi, croissance au zénith, consommation flamboyante, enrichissement collectif, etc.- il pense que les Français l’éliront dès le premier tour.

Mauvaise pioche : il est mis en ballotage et doit affronter François Mitterrand qui a réussi à s’imposer comme le candidat unique de la gauche. Le Général sera élu au second tour à 55% grâce au ralliement des électeurs du candidat centriste Jean Lecanuet qui avait obtenu 15% des suffrages et de ceux du candidat d'extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancourt qui avait recueilli 5% des suffrages. Pour ces deux électorats aux antipodes l'un de l'autre, Mitterrand - qui avait dans ses bagages les communistes, le parti largement dominant de la gauche et aligné sur Moscou - était l’antéchrist. Ils font barrage et choisissent l’Homme du 18 juin, élu donc sur un « front anti-Mitterrand ».

Qui a contesté la légitimité du Général de Gaulle ?

En 1974, l’élection qui suit le décès de Georges Pompidou se déroule dans un climat de fracture politique. Elle oppose le gaulliste Chaban-Delmas, le centriste-libéral Giscard d’Estaing et le socialiste Mitterrand qui, entre temps, a pris la tête du PS. La candidature de Chaban est mal engagée. La perspective de l’élection de Mitterrand se profile. Sous l’impulsion de ses « mauvais génies » Marie-France Garaud et Pierre Juillet, Chirac fait un coup de force contre le gaulliste et organise le ralliement à VGE pour éviter l’élection de Mitterrand, toujours antéchrist parce que, dans l’union de la gauche, le PCF est encore, à ce moment-là, le parti dominant.

Valery Giscard d’Estaing sera donc élu – de justesse à 50,8% - avec ce nouveau front anti-Mitterrand. Qui a contesté sa légitimité à vouloir développer sa politique de libéralisme sociétal et économique ?

Que dire de Jacques Chirac en 2002 ? Face à Jean-Marie Le Pen après l’élimination surprise de Lionel Jospin, il obtient 82% des suffrages au second tour parce que tous les électeurs de gauche, du centre, de droite libérale se reportent sur lui. C’est à l’occasion de cette élection que le concept de Front républicain est forgé. Ce deuxième tour en est à la fois le sommet et l’apothéose.

Qui a contesté la légitimité de Chirac ?

Enfin en 2017, Emmanuel Macron a été élu aussi grâce au front anti-Le Pen (Marine cette fois) - dans des proportions plus modestes mais à 68% quand même - la gauche ayant largement appelé à son ralliement. Même Jean-Luc Mélenchon a fait cet appel par défaut affirmant « qu’aucune voix ne doit aller à l’extrême-droite ».

Qui a contesté la légitimité du « en même temps » ?

                                                                       L'Assemblée nationale transformée en ZAD

Alors pourquoi cette mise en cause cette année ? Une partie de la gauche est frustrée d’être passée à côté d’une victoire qu’elle croyait être à portée de mains. Avec la majorité relative, elle a découvert son pouvoir de nuisance et de blocage mais ce pouvoir a ses limites. Au final, le gouvernement a fait voter tous ses projets de loi depuis le début de la législature. Les vociférations et les gesticulations dans l’Hémicycle font illusion mais ne peuvent faire disparaitre l’arithmétique. La Nupes, c’est 150 élus – dont 74 LFI -, la macronie, c’est 258 députés. Jean-Luc Mélenchon a concouru à la présidentielle où il est arrivé en troisième position avec 22%. Il a conduit la campagne des législatives – sans être lui-même candidat - sur le thème « élisez-moi Premier ministre ». Il se voyait chef du gouvernement de cohabitation mais les résultats ont été loin de ses espoirs.

Enfin, désormais contesté au sein même de LFI, il sait aussi qu’à son âge il ne sera jamais au pouvoir. D’ailleurs, il a récemment implicitement annoncé qu’il ne serait pas candidat en 2027.

Alors, il pratique la fuite en avant et ses troupes embrayent. Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée, a déclaré à propos du futur débat sur la réforme des retraites qu’il « fallait transformer l’Assemblée en ZAD, zone à défendre ». En d’autres termes, faire de l’obstruction et empêcher tout débat.

Un bon mot qui en dit long sur la dérive populiste car une ZAD est une zone de non-droit, un territoire occupé par des militants opposés à un projet de construction et d’aménagement et déterminés par tous les moyens, y compris illégaux, à empêcher le développement d’un projet dument voté par des autorités légitimes.

Mathilde Panot veut donc transformer l’Assemblée en Notre Dame des Landes, la référence absolue dans le genre. Et pour faire bonne mesure, satisfaite de sa sortie, elle a déclaré lors d’un meeting, avec tous les autres leaders de la gauche (PS, Verts, PC) à ses côtés, qu’au-delà de l’Assemblée, « c’est la France qu’il faut transformer en ZAD ».

Quelle sera la prochaine étape ? Une prise de contrôle du Palais Bourbon par des militants à la manière des nervis trumpistes qui ont pris d’assaut le Capitole de Washington le 6 janvier 2021 ou une action sur le modèle des bolsonaristes qui ont saccagé tout à la fois le Parlement et le palais présidentiel à Brasilia le 9 janvier dernier ?

Historiquement, les menaces et les coups de force contre les institutions républicaines émanent de l’extrême-droite. On assiste là à une inversion des rôles à moins que cela illustre la théorie selon laquelle les extrêmes ont vocation à se rejoindre.

Il est consternant de voir que la gauche démocratique – PS, écolo, communiste – se laisse entrainer dans cette dérive qui est un piège mortel pour elle.

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