Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

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Billet de blog 18 octobre 2022

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Assemblée nationale : le paradoxe du 49.3

Le fameux article qui permet l’adoption d’une loi sans vote est considéré comme l’arme absolue du gouvernement pour contraindre les députés. Mais, avec la majorité relative, il est devenu un moyen pour les oppositions de s’affirmer et un piège pour le gouvernement. Les politiques doivent réinventer les codes du débat parlementaire et plus généralement politique. Explications.

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Au théâtre, la recette d’une pièce réussie est une bonne histoire, une mise en scène fluide, des dialogues originaux et des acteurs talentueux.

L’Assemblée nationale est devenue un théâtre dans lequel se joue une mauvaise pièce, avec une mise en scène brouillonne, des dialogues insipides et vulgaires, le tout interprété par des acteurs qui, à force de ne plus croire à leur texte, se contentent de le déclamer.

L’acte en cours a pour thème le budget de l’Etat et le 49.3. La mise en scène est d’un convenu désespérant. Dès le lever de rideau, parce qu’il a une majorité relative, le gouvernement savait qu’il devrait dégainer ce fameux article 49.3 mais il a joué la comédie en organisant des concertations en amont, en acceptant quelques amendements sans importance et en réaffirmant sa volonté de dialogue.

L’opposition ou plutôt les oppositions savaient ce qu’il en était et connaissaient la fin de l’histoire qui se terminera en bouffonnerie et en faux-semblant. Le gouvernement et la majorité feront semblant d’être désolés d’avoir à recourir au 49.3 à cause de « l’irresponsabilité des oppositions ». Celles-ci s’indigneront de ce déni de démocratie. Dès qu’Elisabeth Borne aura annoncé qu’elle met en œuvre ce dispositif, les réactions fuseront. Les communiqués, les tweets, les post, les interviews dénonçant « ce coup de force », « ce mépris du Parlement », « cette incapacité du gouvernement à dialoguer » sont déjà prêts. Il suffira d’appuyer sur le bouton pour que les missiles à propulsion pavlovienne soient tirés.

En attendant – c’était leur objectif - les opposants s’en donnent à cœur joie dans la démagogie et l’hypocrisie. C’est le paradoxe du 49.3 dans le cadre d’une majorité relative.

Cette disposition constitutionnelle qui permet de faire adopter un texte de loi sans vote, sous réserve d’une motion de censure recueillant la majorité des voix est souvent présentée comme une « arme atomique dans la main du gouvernement ». C’était vrai au temps de Raymond Barre qui l’a souvent utilisée parce qu’il devait affronter la guérilla des députés gaullistes et par Michel Rocard auquel il ne manquait qu’une petite poignée de voix pour avoir la majorité absolue.

Ce n’est plus le cas avec un gouvernement soutenu par une majorité relative qui a en face d’elle des oppositions dont les deux principales composantes sont des forces populistes, le RN d’un côté et la Nupes, avec LFI sa formation dominante, de l’autre.

Le 49.3 est devenu, dans ce contexte, une arme au service des oppositions les plus radicales et des autres aussi et un piège pour le gouvernement.

Pourquoi ? Le budget est l’acte majeur annuel de la vie politique. Tout le monde a conscience de deux éléments fondamentaux.

1/Le budget doit être conforme aux orientations du gouvernement, sinon celui-ci n’a plus de légitimité et de capacité à gouverner.

2/L’Etat doit avoir un budget au 1er janvier. Un shut-down à l’américaine n’est pas possible.

C’est pour cette raison que le 49.3 a été maintenu pour les lois de finances de l’Etat et de la Sécurité sociale (et pour un seul autre texte par session alors qu’autrefois le gouvernement pouvait le dégainer à tout propos).

Parfaitement conscients de cette réalité, les députés de l’opposition peuvent faire assaut de démagogie et de facilités en proposant et en faisant adopter des amendements - avec des majorités de circonstance incongrues - dont ils savent qu’ils ne pourront pas être acceptés par le gouvernement qui sera donc piégé, parce qu’obligé de sortir le 49.3.

Les députés savent très bien qu’une dépense proposée dans un amendement doit être compensée par une recette équivalente.

Mais ils ne vont pas s’arrêter dans leur élan avec ce genre de basses considérations. Ces derniers jours, ils ont lancé une sorte de concours Lépine de la mesure la plus populiste : un crédit d’impôt illimité pour le dispositif « ma prime rénov », un autre crédit d’impôt pour le reste à charge des résidents en Ehpad, une augmentation de la part de prise en charge des tickets restaurant par les employeurs, sans parler de la taxation provisoire des superprofits des pétroliers ( à l’initiative, il est vrai, du Modem) et que dire de cet amendements dont on ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer, d’un crédit d’impôt pour ceux qui auront recours à une garde de..chats, etc.

Le but de ce numéro de cirque est d’apparaitre comme étant à l’écoute des Français et de répondre à leurs attentes et renvoyer le gouvernement à une image de technocrate sans cœur, ignorant les réalités de la vie. Mais prennent-ils ces mêmes Français pour des idiots et croient-ils qu’ils seront dupes de la manipulation ?

Parce que, même si selon l’expression populaire, plus c’est gros, plus ça passe, il y a des limites.

Dans le domaine des contradictions, la palme revient aux LR, ces héritiers des gaullistes, censés être les représentants d’un parti de gouvernement avec tout ce que cela implique de sens des responsabilités.

Valérie Pécresse a fait sa campagne présidentielle sur le thème « Macron a cramé la caisse » en raison de l’importance de la dette publique, oubliant que c’était la conséquence du « quoi qu’il en coûte » lié à la crise du Covid et qu’avant, en 2019 – effet de la rigueur hollando-macronienne-, le déficit avait été ramené à moins de 3%. Elle promettait de supprimer 150 000 emplois de fonctionnaires et la mise en place d’un « comité de la hache » qui sabrerait dans les dépenses inutiles, les doublons et autres gabegies, tout en s’engageant à augmenter les moyens des hôpitaux, de la police et de tous les services publics en perdition. Les électeurs semblent ne pas avoir compris la cohérence du projet.

Mais Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France, ne demande rien moins que 2 milliards d’€ à l’Etat pour reprendre le déficit des transports franciliens. Heureusement que son comité de la hache n’existe pas….

Les députés LR dénoncent la gestion calamiteuse du gouvernement qui « laisse à nos enfants, petits-enfants » une dette colossale. Mais, cet été, lors du vote du projet de loi pouvoir d’achat, ils proposaient que le prix du super soit bloqué à 1,50 €, ce qui aurait coûté la bagatelle de 50 milliards d’€… Mieux ou plutôt pire encore, ils ont rejoint la NUPES et le RN pour faire échouer le projet de loi sur la trajectoire des finances publiques qui fixait les orientations pour ramener le déficit public sous la barre des 3% en 2027.

Continueront ils à s’enfoncer dans les contradictions avec la réforme des retraites ? Ils prônent depuis des années le retour de la retraite à 65 ans. S'opposeront ils à la réforme que proposera le gouvernement au début de l’année prochaine qui devrait contenir une mesure d’âge à 64 ou 65 ans ?

Les élus ne semblent pas avoir conscience que le spectacle qu’ils donnent contribue un peu plus à les décrédibiliser. Les échanges violents, les effets de tribune, les battements de pupitre font partie de l’Histoire et même de la grandeur du débat parlementaire.

Avec la majorité relative, le scénario bien rodé dans lequel le gouvernement déposait un projet de loi auquel l’opposition – comme c’est son rôle – s’opposait dans le cadre d’un débat plus ou moins véhément avec une sorte de quota d’insultes et de niveau d’agressivité autorisés, ponctué par des incidents de séance et des rappels au règlement avant que la majorité parlementaire vote le texte est terminé.

Dans ce nouveau contexte, les politiques doivent changer de logiciel. Le Président et le gouvernement doivent apprendre à écouter, à faire des concessions et à montrer une réelle détermination à parvenir à des compromis. De leur côté, les oppositions doivent apprendre que le buzz pour le buzz, la course à l’invective et à la violence verbale doivent avoir comme limite le souci de parvenir à une co-construction de la loi, que l’opposition absolue est une voie sans issue parce que, dans majorité relative, il y a majorité. Qu’ils le veuillent ou non, les partis d’opposition doivent admettre que les Français ont envoyé à l’Assemblée nationale beaucoup plus de députés Renaissance et de ses alliés que de députés de chacun de leur parti et que le Président de la République a été réélu au suffrage universel.

Les politiques français se pâment devant le modèle allemand de cette coalition qui gouverne la 1ère  puissance économique européenne. Ils devraient réfléchir à cette situation et comprendre pourquoi 3 partis – SPD, libéraux et Verts – qu’à priori tout oppose ont réussi à s’entendre. La raison est simple : au nom de l’intérêt du pays, chacun a fait des concessions, a mis de l’eau dans sa bière en quelque sorte et parle de choses sérieuses. Au Bundestag, le Parlement allemand, les écologistes s’intéressent à l’écologie et pas aux baffes qu’un député a donné à sa femme, ils ne dissertent pas sur le caractère machiste du barbecue et ne se perdent pas dans les méandres de la théorie du genre.

Les sujets sérieux et graves ne manquent pas : crise énergétique, réchauffement climatique, inflation, guerre en Ukraine, Chine, Russie, immigration, insécurité, menace islamiste, etc…

Quand les politiques auront compris que c’est sur ces sujets que les Français les attendent et les jugeront, ils auront fait un grand pas.

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