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Billet de blog 23 février 2023

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MEDIAS ET GUERRE D’UKRAINE : ENTRE JOURNALISTES EMBARQUES ET GENERAUX A LA RETRAITE

La couverture de la guerre en Ukraine est encadrée entre une communication très efficace du Président Zelensky et la propagande russe tandis qu’un aéropage d’experts et de stratèges militaires ont pris d’assaut les plateaux de télévision pour commenter et expliquer ce conflit.

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Pour les médias, la couverture selon l’expression consacrée, d’une guerre est à la fois un moment fort, valorisant mais aussi une responsabilité politique car il s'agit de raconter en direct l'Histoire dans ce qu'elle a de plus tragique. Pour les journalistes, c’est un sommet – reporter de guerre, c’est la noblesse du métier – mais aussi un risque, y compris physique. A chaque conflit, plusieurs journalistes paient de leur vie, leur mission et leur passion d’informer. La guerre en Ukraine n’échappe pas à cette règle.

Depuis un an, les médias du monde entier et particulièrement ceux des pays démocratiques sont confrontés à l’enjeu de « couvrir », c’est-à-dire rendre compte, expliquer, décrypter la guerre en Ukraine, « l’opération militaire spéciale » selon l’expression de Vladimir Poutine.

Du point de vue médiatique, cette guerre en Europe, marque un tournant ou plus exactement un aboutissement, celui de la communication conçue comme une arme d’influence, voire de destruction massive. Les belligérants – russes d’un côté, ukrainiens de l’autre – tentent de contrôler les images et donc les messages avec lesquels les médias donnent à voir et à comprendre ce conflit.

Entre les deux, il existe une grande asymétrie. Poutine, à la tête d’une dictature où tout est verrouillé, utilise une ficelle aussi vieille que le monde : la propagande que les médias russes sous contrôle diffusent sans état d’âme.

Volodymyr Zelenski, président d’un pays démocratique met en œuvre une stratégie de communication avec un sens élevé de la professionnalisation. Même si, en tant qu’agressé, il bénéfice d’un a priori favorable, sa communication est un modèle du genre.

Au fil du XXe siècle, la communication de guerre est devenue la 4e composante des forces armées après l’armée de terre, de l’air et la marine.

Tout a commencé avec la guerre du Vietnam. Les Etats-Unis se sont engagés dans cette guerre, au nom de la défense des valeurs démocratiques et de leur intérêt stratégique avec le soutien de l’opinion américaine. Mais, à force de voir tous les jours à la télévision, leur boys engagés dans des combats violents et sans fin, d’assister au retour de leur cercueil sur les tarmacs des aéroports, de voir leur armée se livrer à des exactions comme l’utilisation de napalm contre la population civile, les Américains se sont retournés et ont dénoncé cette guerre.

Ces images étaient produites par des reporters de guerre, accompagnant les forces armées mais pouvant, en toute liberté et à leurs risques et périls, aller sur les lignes de front et voir tout ce qu’il fallait voir et surtout ne pas voir.

L’hostilité de l’opinion a incontestablement été un facteur de la déroute américaine au Vietnam.

La leçon a été retenue par les politiques et les états-majors. Dans les conflits qui secouent le monde depuis la fin du XXe siècle et le début du XXIe, les médias sont « encadrés ».

Avec la première guerre du Golfe en 1990, s’ouvre une ère nouvelle de la communication et de l’information de guerre avec la technique des « journalistes embedeed », les journalistes embarqués. « Complaisamment », les armées invitent les journalistes à accompagner les régiments engagés sur les terrains d’intervention mais, pour des raisons de sécurité, les reporters ne peuvent pas aller de l’autre côté de la ligne de front. Personne n’est dupe, à commencer par les journalistes qui, par leurs commentaires, prennent leur distance mais les images ne vont pas au-delà de ce que souhaitent les états-majors, qu’ils soient américains ou d’autres nationalités, y compris française.

Au fil des interventions occidentales sur des théâtres comme l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, la technique se perfectionnera, allant jusqu’à des mises en scènes comme la capture et la pendaison de Saddam Hussein.

La guerre en Ukraine est l’aboutissement de cette stratégie de « l’embbeded » au sens où la quasi-totalité des images en sont le produit. Les Ukrainiens invitent les médias du monde à montrer leur avancée sur les différents fronts mais aussi les exactions des russes, comme le bombardement d’un hôpital ou les massacres dans certaines villes. Ils donnent aussi à voir le courage de la population, la détermination des soldats ukrainiens.

L’issue de la guerre est incertaine mais, en termes de communication, Zelensky 1-Poutine 0. La propagande est un échec. Il reste l’éternelle question de la part qui reste à l’information dans cette stratégie de communication.

L’autre élément qui interpelle avec la guerre en Ukraine est celle de la compréhension des enjeux militaires et stratégiques.

Cette guerre est la première à se dérouler à l’ère des réseaux sociaux et de l’omniprésence des chaînes d’information en continu. Faute de pouvoir couvrir sur le terrain ce conflit interminable, les chaînes d’info ont mis en place une sorte d’édition spéciale permanente, comme elles l’avaient fait avec le Covid où, tout ce que le pays compte de virologues, infectiologues, experts en santé publique plus ou moins auto-proclamés avaient occupé les plateaux.

Pour l’Ukraine, depuis le 24 février 2022, un quarteron de généraux à la retraite, de stratèges militaires et d’anciens ambassadeurs oubliés sur le quai (d’Orsay) ont envahi les plateaux de télévision.

Commentant, décryptant, disséquant les images de propagande de Poutine et les coups de communication de Zelensky, les stratèges cathodiques n’en finissent pas de débattre et d’avoir des positions évolutives.

Dans les premiers jours de la guerre, il était évident que le conflit serait de courte durée. L’armée russe – la première du monde – ne ferait qu’une bouchée de la frêle Ukraine et de son président, un humoriste tout droit sorti de la télé-réalité. Oui mais voilà, le petit poucet ukrainien s’est rebiffé et son leader s’est transformé en chef de guerre. Il n’a pas fallu plus qu’une colonne de chars russes embourbés quelque part dans le nord du pays pour que les experts de plateaux s’avisent que l’armée russe n’est pas si performante avec ses stratégies hors d’âge et ses équipements datant de l’ère soviétique, son commandement par des généraux incompétents et ses troupes de soldats peu entraînés et pas motivés. Toutes ses faiblesses auraient été cachées à Poutine.

Le leader russe est aussi l’objet de digressions évolutives. Mégalomane, paranoïaque, il était au début de la guerre, atteint de parkinson, de plusieurs cancers et de quelques maladies dégénératives, bref il allait mourir dans les 15 jours à moins qu’il ne soit renversé avant par des apparatchiks, excédés de ses excès. Un an plus tard, il est toujours là et semble plutôt en forme.

Au tournant de l’été, l’affaire était pliée : l’Ukraine va gagner la guerre, d’autant qu’entre temps elle a bénéficié de l’aide financière et militaire de l’Occident, Etats-Unis et Europe. Combien d’heures, les militaires cathodiques ont-ils disserté pour savoir si les armes livrées par Washington, Paris, Berlin, Varsovie sont défensives ou offensives avec cette énigme non résolue : un canon est-il une arme offensive ou défensive ? Sans doute, – comme dirait Fernand Raynaud – cela dépend-t-il de quel côté de l’obus on se place.

En aidant massivement Kiev, l’Occident est-il co-belligérant ? Cette question hautement sensible occupe largement et régulièrement les échanges et n’a toujours pas trouvé de réponse.

Au début de l’automne, la question de la durée de la guerre a quand même fini par s’inviter sur les plateaux. Pour les généraux, l’hiver allait figer les forces à l’avantage de l’Ukraine. Le « général hiver » est arrivé mais comme il a été – réchauffement climatique oblige – moins rigoureux qu’au temps de Napoléon, la guerre de mouvement a repris et Moscou est repartie à l’offensive, reprenant une partie du territoire reconquis par les forces ukrainiennes.

La question est désormais de savoir quand et comment se terminera cette guerre. Après avoir longtemps et violemment critiqué le Président de la République pour avoir maintenu le dialogue avec Poutine dans l’espoir de créer les conditions d’une négociation qui n’humilierait pas la Russie tout en assurant un rapport de force favorable à l’Ukraine, les stratèges télévisuels admettent que c’est bien de cette manière que la guerre devra se terminer.

Mais à quelle échéance ? C’est la grande inconnue du moment. Pour le quarteron de généraux à la retraite, cette guerre est, hélas, destinée à durer. La bonne nouvelle est qu’ainsi, leur heure de gloire wharolienne va se prolonger.

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