Les extraits d'un article publié aujourd'hui dans EL PAIS qui traite de l'état du féminisme aux USA. Deux positions se dessinent, le terme même de féminisme est contesté, l'attitude de Michelle OBAMA ou du Magazine ELLE exacerbe. Pourtant il semble qu'il y ait urgence et que cette situation n'est pas loin de ce qui peut être ressenti sur ce sujet en France. Philippe G
"LES ETATS UNIS EN QUÊTE D'UN NOUVEAU FEMINISME
Par Cristina F. Perrada à Washington. 3 Février 2014
Le mouvement tente de concilier les les avancées des dernières décennies avec les inégalités qui continuent d'affecter les femmes.
"Je suis très fière de ce travail, mais plus que par la musique, je suis fière en tant que femme." Beyoncé venait de secouer l'industrie musicale avec la présentation de sa dernière oeuvre sur Internet, et sans intermédiaires. Quelques mois avant, Marissa Mayer, présidente de Yahoo! déclarait dans un documentaire qu'elle ne se considérait pas comme "féministe" et que pendant son passage chez Google elle ne se vit jamais comme une femme dans cette entreprise, mais comme une informatienne.
Les revendications de l'une et de l'autre représentent le défi du féminisme actuel aux Etats -Unis. Mayer, Beyoncé ou Sheryl Sandberg, la numéro deux de Facebook qu'a lancé une campagne pour intégrer des femmes aux plus importants postes des entreprises, sont les héritières des avancées obtenues par un des mouvements sociaux les plus importants des dernières décades. Son arrivée jusqu'au sommet peut être interprétée comme l'égalité des chances, la possibilité qu'une femme occupe une charge réservée précédemment aux hommes, a déjà été accomplie.
Mais, presque rapidement qu'ont surgi des voix que célèbrent cette réussite, un appel à renouveler le féminisme est monté: le succès de cette minorité ne devrait pas enterrer le mouvement quand les femmes américaines gagnent encore 77 cents pour chaque dollar que touchentles hommes. L'équilibre parmi ces deux positions implique diverses générations et des points de vue beaucoup plus différents et complexes que ceux que définirent le mouvement dans ses débuts, et avec un risque naissant qui n'existait pas alors: le sentiment que peut-être désormais rien ne soit plus nécessaire.
"Aujourd'hui nous pouvons identifier deux groupes de jeunes en ce qui concerne le féminisme", assure Kate Farrar, directrice des programmes de de l'Association Américaine de Femmes Universitaires. "Les unes n'ont ni souffert ni n'ont été témoins de discrimination sexiste. Elles sont arrivées jusqu'à l'université sans barrières", dit-elle. "Les autres est pleinement conscientes qu'il existe encore la violence sexuelle, de l'exploitation, de la discrimination ou du trafic de femmes, mais personne ne veut de l'étiquette de féministe."
Dans les deux cas, l'entrée dans le monde du travail met des millions de jeunes confrontées la discrimination. "Elles le détectent quand elles commencent à travailler, quand elles voient comment elles sont traitées, comment elles sont traitées dans les réunions", explique K. Farrar. "Les femmes doivent combattre encore avec nombreux aspects culturels qui persistent. Elles sentent qu'elles doivent apprendre à concilier l'image féminine avec l'ambition ou la capacité de travail."
Pour sortir de ces étiquettes, et sans attendre d' appartenir à un mouvement particulier, d' autres ont choisi d'élever leur propre voix, féministe ou non, et faire de leur carrière une cause personnelle, comme c'est le cas de Lea Dunham, actrice, scénariste et directrice de la série Girls. L'écrivain Chimamanda Adichie* a fait valoir dans un célèbre discours à la conférence TED que "Nous devrions tous être féministes" est un autre exemple.
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La revue ELLE a suscité beaucoup de critiques en octobre dernier en invitant différentes agences de publicité pour les aider à "réinventer un terme que beaucoup ressentent comme vidé de sens et negatif" . Pour certains il est paradoxal qu'un magazine qui défend des standards de beauté impossibles pour des millions de femmes se mette à réinventer un mouvement par l'égalité. Pour d'autres il n'y a pas de cause qui puisse avancer si un seul maquillage suffit à arrêter une menace.
Rine suggère que c'est le moment de trouver un autre terme qu'il inclut tout ceux qui veulent continuer à lutter contre la discrimination dans la culture et le langage, la violence sexuelle ou le trafic de personnes. "Il reste trop de travail à faire, c'est pourquoi il est inquiétant que les femmes soient en train de penser davantage sur la façon de trouver un label plus agréable", conclut-il.
La tentative d'ELLE réflète la variété des arguments qui doit concilier à l'heure actuelle le féminisme pour maintenir unies à toutes les femmes - et les hommes - à la faveur de l'égalité. Des progrès ont permis à des millions de femmes l'accès à l'université et de vivre de manière indépendante grâce à des situations auparavant inaccessibles pour elles. Mais quand une professionnelle de la stature de Mayer, directrice générale de Yahoo! et précédemment vice-présidente de Google, décide d'ajouter une pièce pour son bébé près de son bureau, certaines se sentent trahies par cet exemple d'une cet exemple d'une égalité des chances inexistante pour des millions de femmes.
Pour d' autres, la trahison est dans la décision de la Première Dame, Michelle Obama, de devenir "mère en chef" - 'maman en chef' - pendant son séjour à la Maison Blanche, au lieu de défendre des politiques qui favoriseraient plus les femmes. Son rôle a été décrit comme "un cauchemar pour le féminisme", en référence à la déception dans certains milieux parce que la Première Dame la plus qualifiée de l'Histoire mette en avant son rôle de mère. Les autres interprètent que dans sa liberté de prendre ces décisions s'enracine le vrai triomphe du mouvement.
"Certains disent que le féminisme est en recul parce qu'il a atteint son objectif. C'est une conclusion compréhensible mais erronée", assure Christina Hoff Sommers, auteur de livres comme La guerre contre les hommes, dans la revue The Atlantic. "Bien que le combat principal par l'égalité et les opportunités sont presque gagnées, le travail ne doit pas cesser. Dans le monde entier les femmes doivent survivre encore face à la violence et la répression. La culture contient encore de puissants composants misogynes. Malgré des progrès considérables, les listes de citoyens dans la pauvreté sont remplies de femmes et d'enfants."
Le président Obama reconnut le passé mois de décembre que "l'inégalité est le défi majeur de ce siècle" pour les Etats-Unis. Inégalité qui touche particulièrement les femmes. Dans le récent discours sur l'état de l'Union il a rappelé: "Les femmes sont plus de la moitié des travailleurs, mais ils gagnent encore 77 centimes pour chaque dollar que touche un homme. C'est honteux."
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Une étude du CAP* dénonce que près de 100 millions d'Américains, un tiers de la population, vit dans la marge qui sépare la classe moyenne de la pauvreté, juste séparés par la perte d'un travail, un accident ou une maladie grave. Dans ce pourcentage de citoyens, 70 millions sont des femmes et des enfants qui dépendent d'elles. Shriver appelle maintenant tous les Américains à se rénir derrière un mouvement pour mettre fin à l'écart entre ces familles et la position privilégiée de Mayer, Sandberg, Beyonce ou Michelle Obama.
Michael Kauffman, expert en programmes pour insérer les hommes dans les valeurs du féminisme, reconnaît que cette division est en partie due à la perte d'un sentiment d'urgence durant les décennies antérieures. Comme beaucoup d'autres militants et experts, l'auteur prévient que ce serait une erreur de croire qu'il ne reste pas "un long chemin" à parcourir alors qu'il reste la violence contre les femmes, qu'il n'y a pas d'égalité salariale ..."
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Le conseil de l'historienne Sommers, qui plaide pour réinventer le féminisme, est simple: "Réformez le féminisme. Alliez-vous avec les femmes du monde entier qui luttent encore pour des libertés élémentaires. Soutenez les femmes opprimées et donnez au féminisme occidental ce qui lui a manqué pendant de nombreuses années, un objectif contemporain qu'il lui fasse mériter son passé." »
Trad et illustration Philippe Ginet
http://internacional.elpais.com/internacional/2014/02/02/actualidad/1391359563_762482.html
*L'écrivain Chimamanda Adichie*, dans une célèbre conférence TED que "Nous devrions tous être féministes"
*Etude du CAP : http://shriverreport.org/