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Billet de blog 19 février 2013

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Climat : des New-Yorkais aux Pays-Bas

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LA MONTEE DES EAUX N’EST PAS UNE FICTION HOLLYWOODIENNE OU UNE LUBIE DE CRYPTO-ECOLOS.

L’ETAT DE NEW YORK Y EST CONFRONTE TRES CONCRETEMENT ET EST SUR LE POiNT DE PRENDRE DES DECISIONS INEVITABLES QUI NE SERONT PAS FORCEMENT POPULAIRES. DE PLUS SE POSE LA QUESTION : QUELLE STRATEGIE ADOPTER ? LUTTER CONTRE LES CATASTROPHES OU…COMPOSER AVEC ? L’EXPERTISE SCIENTIFIQUE ET L’EXPERIENCE SOCIALE DES PAYS BAS INTRIGUENT LES AMERICAINS. TRADUCTION  : PHILIPPE GINET (ecolightnews.eu)

Going With the Flow Par MICHAEL KIMMELMAN,  publié le 13 février 2013

Le polder Overdiepse, Waspik, PAYS-BAS –

Quand le gouverneur de New York Andrew M. Cuomo a proposé l'autre jour de dépenser jusqu'à 400 millions de dollars pour acheter et raser des maisons dans les zones inondées par Sandy, j'ai pensé à Nol Hooijmaijers.

Il y a une dizaine d'années, le gouvernement néerlandais a ordonné à Nol Hooijmaijers de quitter les terres agricoles que lui et sa famille partageaient avec 16 autres agriculteurs, afin qu’elles puissent servir de déversoir en cas d’ inondations occasionnelles. Récemment j'ai rencontré M. Hooijmaijers et sa femme Wil, qui m’ont servi le café dans leur nouvelle ferme et m’ont montré la nouvelle stalle pour leurs vaches.

Comment eux et leurs voisins ont réagi à l’injonction du gouvernement, et comment de son côté le gouvernement a traité leur réponse, c'est un témoignage  qui devrait susciter l'intérêt de M. Cuomo et des  New-Yorkais.

Il n'est pas surprenant que certains responsables américains, planificateurs, ingénieurs, architectes et d’autres se soient rendus dernièrement aux Pays-bas. New York n'est pas Rotterdam (ou Venise ou la Nouvelle-Orléans, d'ailleurs),  la plupart du temps en dessous ou à peine au-dessus du niveau des mers. Mais elle n’est pas adaptée, semble t-il,  à  de plus en plus fréquentes vagues de tempêtes, non plus, et les Pays-Bas ont contrôlé avec succès la mer depuis des siècles tout en prospérant. Après que la Mer du Nord ait débordé en 1953, dévastant le sud-ouest du pays et tuant 1835 personnes en une seule nuit, les responsables néerlandais ont imaginé un ingénieux réseau de barrages, écluses et barrières appelé (Deltaworks) Plan Delta.

La gestion de l'eau s’appuie ici sur des sciences exactes et des études minutieuses...Les néerlandais, avec une connaissance de l'eau, des marées et des inondations affûtée par une expérience douloureuse, peuvent calculer au centimètre près - et le gouvernement néerlandais légifère en conséquence - comment positionner exactement des centaines de digues, hautes ou basses,  le long des rivières et autres voies navigables afin d'anticiper les tempêtes dont ils estiment la fréquence une fois tous les 25 ans, ou tous les 1000 ans, ou tous les 10.000.

Et maintenant, l’évidence les amène à entreprendre ce qui peut sembler, à première vue, une approche contre-intuitive, une sorte de volte-face.  Les Néerlandais commencent à laisser entrer l’eau.  Ils s’ingénient à vivre avec la nature, plutôt que de se lancer dans une bataille perdue d'avance contre ce qui est inévitable selon leur constat.

Pourquoi? La réalité de la montée des eaux et des rivières ne laisse aucun doute. Les barrages maritimes ont été suffisants durant plus d’un demi-siècle, mais ils sont préjudiciables  à l'écologie et sont construits à une certaine hauteur, tandis que les eaux continuent de monter. Les responsables américains qui vantent aujourd'hui les portails maritimes  comme la solution miracle pour protéger les bas de Manhattan devraient en prendre note. Au lieu de lutter contre les inondations la nouvelle philosophie aux Pays-Bas est de les contrôler.

Le projet du gouverneur Cuomo serait de reconvertir les propriétés du Queens, de Brooklyn et de Staten Island en parcs, sanctuaires pour oiseaux pouvant devenir des zones inondables…L'idée est de proposer aux propriétaires une incitation (peut-être jusqu'à $ 300.000) pour quitter volontairement des espaces où, avec le recul, les maisons familiales n’auraient pas dues être construites. Les Néerlandais ont poursuivi une stratégie de déménagement plus agressive et complexe.

Ils sont, par tempérament, presque aussi allergiques que les Américains à des programmes imposés d’en haut qui empiètent sur les droits personnels et patrimoniaux, mais la priorité de la sécurité de l'eau l'emporte presque sur toutes les autres dans un pays où 60 pour cent du produit intérieur brut de la nation se situe en dessous du niveau de la mer . Protéger le pays contre les tempêtes et les inondations n’est pas envisagé ici simplement comme une contrainte ou un jeu politique, mais comme une opportunité économique et architecturale.

L’expression locale à la mode est «multifonctionnel». Les Hollandais installent magasins et  bureaux sur les nouvelles digues, conçoivent des places publiques … des maisons flottantes et dans les réservoirs créent des activités de loisirs.

J’ai demandé à Tracy Metz de m’aider à tirer des leçons utiles pour New York dans l'exemple néerlandais. Critique d'architecture  à Amsterdam, elle est co-auteur, avec Maartje van den Heuvel, historienne de l'art, de "Douce et salée : l'Eau et les Néerlandais", livre qui devrait être absolument lu aujourd’hui. Tracy Metz a rassemblé quelques fonctionnaires et architectes néerlandais, et elle m'a emmené voir le Maeslantkering, le gigantesque portail maritime qui garde Rotterdam, le dernier né du plan Delta ( Deltaworks)…

Port le plus actif d’Europe et deuxième plus grande ville des Pays-bas,  Rotterdam se trouve à environ 20 pieds en dessous du niveau de la mer, et donc compte sur cette immense barrière - et, semble-t-il, sur la confiance. Rotterdam, en fait, l'ensemble des Pays-Bas, n'a pas de plan d'évacuation si les inondations devaient percer les levées de la barrière, une catastrophe qui pourrait dépasser ce qui s'est passé à la Nouvelle Orléans. Tandis que les Américains dépensent trop d'énergie et de capital pour les secours d'urgence et pour  la reconstruction après le passage des catastrophes, et pas assez sur l'anticipation et l'atténuation des problèmes, les Néerlandais ont accompli tant de choses depuis si longtemps dans la prévention des inondations qu'une grande partie d’entre eux, même en situation passive comme à Rotterdam, se sent sécurisée.

Cela dit, les politiciens américains, y compris ceux qui ont parlé de réduire les fonds pour les mesures de prévention après  Sandy pourraient vouloir voir comment les Hollandais ont réussi à améliorer la vie publique, l'espace public et le paysage alors que les contribuables américains paient des milliards  pour réparer les dégâts du cyclone.

Une bonne façon de débuter c’est le développement du secteur riverain nouvellement achevé à Scheveningen, un quartier balnéaire de La Haye, où l'architecte catalan Manuel de Solà-Morales et son cabinet ont façonné une élégante digue, un boulevard qui serpente le long de la mer sur  près de deux miles . Même dans le froid glacial, j'ai vu la foule se promener sur le boulevard, version hollandaise de la promenade de Coney Island, conçu de telle sorte que le pont piétonnier qui mène de la plage à la ville se disloquera en toute sécurité dans le cas d'une inondation catastrophique.

L’axe majeur de la gestion de l'eau à la néerlandaise est actuellement « DE L’ESPACE POUR LA RIVIERE », un programme  sur plusieurs décennies  de 3 milliards de dollars. Il se compose de près de 40 projets d'infrastructure liés entre eux pour atténuer le changement climatique le long des rivières et cours d'eau qui sillonnent les Pays-Bas.

Les digues sont abaissées, les déversoirs sont créés. Nombre de ces  projets ont été confrontés à des batailles juridiques et de prévisibles manifestations publiques. Les gens sont déracinés, les terres réutilisées. Mais les avantages sont clairs et amplement partagés.

Ainsi, par exemple, West 8, la société hollandaise qui refaçonne actuellement Governors Island à New York, a obtenu les permissions pour  concevoir les ponts et les stations de pompage pour Noordwaard, vaste polder à une demi-heure de route de Rotterdam, transformé en un réservoir en cas d'inondation.

Le projet récupère ce qui avait été un lac naturel il y a des siècles, colonisé comme terres agricoles. Les digues seront ajustées, des sentiers pédestres ajoutés. Des ponts panoramiques sont construits sur les stations, de sorte que toute la région, tout en continuant à soutenir l'agriculture, peut devenir une destination pour les randonneurs et les cyclistes, les patineurs.

Un autre chantier pour le Projet « De l’espace pour la rivière » est le Overdiepse Polder, dans la province du sud-est du Brabant, à une heure de route au sud d'Amsterdam. Cela nous ramène à notre point de départ: là où Hooijmaijers Nol et son épouse vivent.

Marais,  plaines inondables et autres basses terres, entourés de digues, sont récupérés dans les polders. En abaissant la digue le long de la limite nord du polder Overdiepse, le canal Bergse Maas sera en mesure de s’y répandre avec un niveau d'eau plus bas, assez pour épargner  les 140.000 habitants de Den Bosch, en amont, dans le cas d'une inondation tous les 25 ans. En termes clairs : en déplaçant les exploitants agricoles, les habitants de cette ville peuvent respirer un peu mieux.

Naturellement, le projet n’a pas été bien accueilli par  M. Hooijmaijers et les autres résidants du Polder Overdiepse quand il a été annoncé en 2000, pas plus que ça ne pourrait bien se passer avec les propriétaires de la Côte du New Jersey ou dans le Rockaways si des représentants du gouvernement leur ordonnait de partir.

Mais c'est là que l'exemple néerlandais est instructif. Le gouvernement n'a pas demandé à des volontaires de partir. Il a pris une décision, basée sur les nombres réels et l'économie de la région. Le polder serait utilisé comme un déversoir. Les exploitations agricoles devraient disparaître. Les agriculteurs seraient dédommagés, mais rester ne serait pas une option: une très dure décision que les politiciens américains ont tendance à éviter comme la peste.

Plutôt que d'essayer d’entamer des actions juridiques pour plus d'argent ou de combattre le projet… les habitants de Overdiepse Polder ont présenté une idée nouvelle: ok, le polder deviendrait un déversoir, mais le gouvernement devrait construire un certain nombre de monticules le long de la limite sud, sur lequel une demi-douzaine ou plus d’agriculteurs pourraient se réinstaller. Les monticules serait assez importants (environ 20 acres) pour accueillir de nouvelles fermes et des hangars, et assez haut (20 pieds au-dessus du niveau du polder) pour rester au sec. Il n'y avait pas assez de place pour 17 monticules, de sorte que certains agriculteurs seraient obligés de partir. Construire huit monticules a été la bonne option.

M. Hooijmaijers a fédéré les agriculteurs. Les négociations ont été épuisantes et ont pris des années. « Chaque agriculteur pense qu'il a la meilleure ferme du monde», me dit-il. Entre-temps, un fermier  déménagea au Canada. Un autre est mort. «Nous avions été un village, une communauté, puis, dès l’instant où le gouvernement a annoncé « tu dois partir », nous sommes devenus des concurrents entre nous», a rappelé M. Hooijmaijers. "Mais nous nous sommes rassemblés, et le gouvernement a été conciliant. Il voulait aider. "

A travers les baies vitrées de la nouvelle ferme bien aérée, moderne, conçue par le frère de Wil, un architecte, j’ai  l'une des extrémités du polder. Dans l'autre direction  était l'ancienne ferme, confortable mais petite. Avec l'argent que le gouvernement a payé pour acheter et finalement la raser, les Hooijmaijers ont eu un acompte pour la nouvelle maison, qu'ils ont finalement occupée vers la fin de l'année dernière. «La leçon à tirer est que les choses ne sont pas faciles», précise M. Hooijmaijers, "mais ils veillent à ce qu’il y ait de la coopération et de la participation."

En d’autres termes, des décisions difficiles doivent être prises pour faire face à la montée des eaux et aux intempéries. Malgré la différence évidente entre un groupe d'agriculteurs sur un polder néerlandais et les communautés dans le Rockaways ou Coney Island, un bon gouvernement prend ces décisions tout en informant les personnes concernées et en les accompagnant, leur donnant la capacité de faire des choix et se responsabiliser.

Politiquement quoi de plus difficile peut-être que la mise en service des barrières maritimes ou de faire des promenades dans les digues ou redessiner les bords de mer et les alentours  pour accueillir  inondations et  tempêtes.

Mais c'est nécessaire. Et c'est peut-être la leçon la plus importante que les Pays-Bas peuvent actuellement nous donner.

Philippe ginet/ecolightnews. Traduction.

NEW YORK TIMES :

http://www.nytimes.com/2013/02/17/arts/design/flood-control-in-the-netherlands-now-allows-sea-water-in.html?pagewanted=all&_r=0

ECOLIGHTnews (socialmedia)

http://ecolightnews.eu/

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