Monsieur le Président Tunon de Lara,
le 4 mars dernier, vous avez publié, avec sept autres présidents d’universités, une tribune dans Le Monde intitulée « La France a besoin d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche ». Dans cette tribune, vous réclamez plusieurs milliards d’euros au Président de la République pour remettre la recherche française au niveau des premiers pays européens. Vous demandez la recapitalisation de l’Agence nationale de la recherche (ANR), une évaluation renouvelée des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, la mise en place de contrats d’objectifs et de moyens. Enfin et surtout, dans cette tribune, vous nous demandez de faire confiance aux universités, de vous faire confiance.
Vous faire confiance ? Vous qui depuis votre premier mandat rêvez de transformer notre université en une Oxford à la française, vous qui vous comportez en chef d’entreprise, vous qui vous enfermez dans votre bureau pour fuir les collègues en colère, vous qui envoyez vos vice-présidents faire le service d’ordre devant des amphis d’examen (où vous enfermez les étudiants à clé), vous qui faites partie du groupe de travail sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et proposez des CDI « sur projet » pour embaucher les jeunes enseignants-chercheurs ?
Votre vision d’une « université moderne » est basée sur un modèle d’entreprise, sur une volonté d’excellence (inégalitaire et darwinienne, comme souhaite le PDG du CNRS), sur une valorisation (financière) des biens et de la connaissance, sur un paradigme économique où les étudiants seront des clients qui paieront (très cher bientôt) pour accéder au savoir. A vous lire, la solution passe par plus d’argent. On nous a déjà fait la blague avec les 57 milliards du grand emprunt, en fait partis dans les banques qui nous ont ensuite généreusement reversé les intérêts. On nous a déjà fait la blague avec les 6 milliards du crédit impôt recherche, qui profite plus aux entreprises qu’aux laboratoires de recherche publique. On nous a déjà fait la blague avec l’ANR, qui a surtout distribué ses 8 milliards aux projets de recherche « appliquée et rentable », c’est-à-dire en partenariat avec le privé.
Votre vision n’est pas la mienne, votre vision n’est pas la nôtre. Nous, enseignants qui travaillons, en dépit de conditions difficiles, à transmettre un savoir aux générations futures. Nous, chercheurs qui essayons de comprendre le monde qui nous entoure, sans soucis de rentabilité, simplement pour faire avancer la connaissance sans laquelle l’humanité vivrait encore dans des cavernes. Nous, enseignants-chercheurs qui consacrons notre vie à partager et faire évoluer un savoir qui appartient à l’humanité entière, qui n’appartient à personne (surtout pas à vous), et qui ne peut donc se vendre.
Vous cosignez votre tribune avec sept autres présidents d’université, je cosigne ma lettre en invoquant les noms d’illustres prédécesseurs qui baptisent nos amphithéâtres : Darwin, Edison, Franklin, Poincaré, Wegener. Je cosigne ma lettre avec les milliers d’enseignants-chercheurs qui souffrent en silence et pourtant remplissent leurs missions avec dignité. Pour finir, comme l’écrit si justement Virginie Despentes, « le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable », alors « on se lève et on se casse. C’est terminé. On gueule. On vous emmerde ».
Philippe Paillou, enseignant-chercheur, Université de Bordeaux (la vraie)