Rejet de la PMA, interdiction de l'écriture inclusive, participation aux universités d'été de Reconquête, l'organisation de "la droite fière de ses valeurs" a toutes les caractéristiques d'un groupe d'extrême-droite. Cependant, l'appartenance de l'UNI à la grande famille de l'extrême-droite reste de l'ordre de la "calomnie" selon ses militant.es, qui n'hésitent pourtant pas à qualifier tout signe de progressisme de "gauchiste", de "wokiste" ou encore "d'islamo-gauchiste" pour les plus inspiré.es.
L'historien Nicolas Lebourg explique auprès de Franck Johannès, journaliste pour Le Monde, qu'il est très rare que des militant.es se revendidique ouvertement d'extrême-droite [1]. Le terme est rejeté parce que souvent confondu avec celui de "fasciste", bien que le fascisme soit plutôt un sous-champ de l'extrême droite. Si l'exercice est difficile, une définition de l'extrême-droite selon l'historien se base sur sa vision du monde. Le projet de l'extrême-droite est organiciste. Elle rêve d'une communauté unitaire, organique, reposant sur l'ethnie, la nationalité et/ou la race. Elle valorise le "nous", rejette "l'autre", différent ethniquement et/ou culturellement. Elle ressent un sentiment de déclin, une angoisse de la décadence, ce qui motive son combat. Il s'agit de défendre cette communauté unitaire fantasmée, réagir face à un "déclin mortel"
"Droit de vote aux immigrés, que reste-t-il aux Français?" [2], "Trop d'immigration nuit à l'assimilation" [3], "L'assimilation, l'antidote contre le communautarisme" [4], "Communautarisme, non à la France morcelée" [5], le programme de l'UNI semble correspondre à la vision du monde de l'extrême-droite, celle d'une communauté organique à défendre face à un péril mortel. Et en retraçant l'histoire de cette organisation, on remarque que l'UNI a, depuis toujours, cultivé des relations très étroites avec l'extrême-droite.
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Aux origines, la réaction à mai 68 et les liaisons dangereuses avec l’extrême-droite.
L’UNI (l’Union Nationale Inter-universitaire) a été fondée en 1968, dans les locaux du SAC (Service d’Action Civique) sur les conseils des réseaux de Jacques Foccart [6]. Jacques Foccart est l’un des hommes de main de Charles de Gaulle, responsable de la politique de la « Françafrique ». Il sera accusé d’avoir commandité dans le cadre de ses fonctions plusieurs assassinats et coups d’État en Afrique. Il est également l’un des membres fondateurs du SAC.
Le SAC, organisation politique créée en 1960 pour soutenir Charles de Gaulle, s’est très vite révélée comme la milice du gaullisme des années 1960 jusqu’à sa dissolution dans les années 1980. [7] Des militant.es du SAC ou très proches du SAC se sont rendus responsables d’un grand nombre de violences, de ports d’armes illégales, de fusillades et de meurtres pendant les évènements de mai 68. L’organisation a entretenu des liens avec les milieux du crime organisé, ainsi qu’avec des militant.es d’extrême-droite. Le SAC sera finalement dissout en 1982 après avoir organisé l’assassinat de la famille de Jacques Massié en 1981.
C’est donc dans les bureaux de ce même SAC, rue de Solférino, qu’a été organisée en novembre 1968 la réunion fondatrice de l’UNI. L’organisation profitera par ailleurs du soutien logistique du SAC pour mener ses activités. L’UNI revendique à sa création, et en réponse au mouvement de mai 68, de « regrouper tous ceux qui entendent soustraire l'éducation nationale à l'emprise communiste et gauchiste et défendre la liberté en luttant contre toutes les formes de subversion ». En 1981, les militant.es de l’UNI et des militant.es du SAC s'associent pour créer un mouvement d’idée, le MIL (Mouvement Initiative et Liberté).
Le nouveau mouvement de l'UNI et du SAC partagera son siège et son premier président, Jacques Rougeot, avec l'UNI. L’objectif du MIL est alors de faire pencher la droite vers les idées réactionnaires. L’historien François Audigier écrira que le discours du MIL portait les influences du « catholicisme réactionnaire », soutenait la préférence nationale, le combat contre l’avortement, tout un programme qui, selon l’historien, n’avait rien à envier à celui du Front national des années 1980. [8]
L’UNI travaillera également dans les universités avec une autre force politique d’extrême-droite : le GUD (Groupe Union Défense). Né en 1968 au centre universitaire Assas, fondé par d’ex-militant.es du groupe Occident, organisation néo-fasciste dissoute en octobre 1968, le GUD organisera plusieurs actions violentes dans les facultés pour défendre les idées de l’extrême-droite. Les militant.es du GUD participeront à la création du Front national en 1972. L’UNI s’associera avec le GUD pour former des listes communes aux élections étudiantes de plusieurs universités, mais également pour organiser des actions coordonnées, en particulier au moment du mouvement contre la réforme Savary en 1983. [9]
La réforme Savary, menée sous le mandat de François Mitterrand par son ministre de l’Éducation nationale, le socialiste Alain Savary, propose notamment de supprimer la sélection à l’université, mesure qui cristallisera les oppositions de la droite et de l’extrême-droite. L’UNI s’associera pendant de ce mouvement avec le GUD pour organiser des manifestations communes dans le cadre d’une coordination nationale. Au cours de ces manifestations communes, le GUD mènera des ratonnades et des actions violentes, notamment lors des manifestations du 5 et du 9 mai, qui conduiront à l’arrestation de quatre représentants de la Coordination nationale, à laquelle participent ensemble l’UNI et le GUD. [10]
Aujourd’hui, le soutien actif à l’extrême-droite et à ses idées.
Avec une telle histoire derrière elle, il est surprenant que cette organisation tente de se faire passer pour la « droite modérée ». D’autant plus que l’UNI, aujourd’hui, continue d’affiner ses nombreuses connexions avec l’extrême-droite.
"Toutes les civilisations ne se valent pas" déclara Claude Guéant, ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy, lors d'une réunion à huit-clos le 4 février 2012 devant 300 militant.es de l'UNI, à l'occasion des "Convergences annuelles". Réunions de l'UNI dans lesquelles les journalistes ne sont pas admis.es, et desquelles rien ne doit sortir, ces "Convergences annuelles" sont l'occasion pour les militant.es d'écouter des discours très droitiers, s'ils ne flirtent pas carrément avec l'extrême-droite. [11] Un ex-militant de l'UNI explique auprès de Mediapart que "Dire des propos xénophobes, ça remotive les troupes". L'UNI défendra son invité, expliquant que cette phrase avait été sortie de son contexte pour alimenter "une polémique odieuse", tandis que Claude Guéant expliquera ne pas regretter sa sortie xénophobe, qui rappelle les propos tenus par Jean-Marie Le Pen en 1996 sur "l'inégalité des races".
L'UNI est ainsi toujours perméable aux discours racistes et aux idées d'extrême-droite. La xénophobie reste un moteur dans le logiciel idéologique du mouvement. À Orléans, le 19 septembre 2023, ses militant.es collaient sur les murs des slogans comme "Migrants débarqués, Europe en danger". [12] Leurs positions sont également réactionnaires. La lutte contre "l'emprise gauchiste" à la faculté les amène à proposer l'interdiction de l'écriture inclusive, à regretter le financement d'évènements étudiants accusés de faire la promotion de "l'idéologie LGBT" [13], ou encore à s'opposer à la distribution gratuite de protection menstruelles. [14] L'Union pirate, syndicat présent à l'Université de Bretagne Occidentale, avait organisé le 28 septembre 2023 avec le soutien de la CVEC une distribution de culottes menstruelles, afin d'aider les personnes en situation de précarité menstruelle. L'UNI a condamné cette distribution, regrettant le financement de ce qui est, selon elle, des "délires wokes et antifas".
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L'UNI entretient d'autre part des relations très fortes avec d'autres organisations d'extrême-droite. Le 12 avril 2022, ses militant.es accompagné.es d'autres militant.es de la Cocarde Étudiante (organisation violente d’extrême-droite, née d’une scission de l’UNI en 2015), de Génération Z, de l'Action française et de Furie française déploient à Toulouse une banderole dénonçant des "actes antichrétiens" et du "terrorisme du quotidien" à la suite d'une tentative d'attentat à la cathédrale de Toulouse. [15] Le 25 mai 2022, à l'initiative des délégué.es nationaux.ales de l'UNI, une tribune est publiée dans le Figaro en réaction à l’appel lancé par des diplômé.es d’AgroParisTech invitant les étudiant.es à refuser de travailler pour une industrie menaçant la planète. [16] La tribune sera signée par trois candidats Reconquête aux législatives, des militant.es de Génération Z, ou encore des collaborateurs.rices parlementaires de député.es RN. [17] La Cocarde Étudiante, Génération Z et l'UNI ont également revendiqué ensemble le déblocage d'un bâtiment de Sciences Po Paris, le blocage du bâtiment ayant été organisé par les étudiant.es de l'établissement suite aux résultats du second tour de l'élection présidentielle, opposant Emmanuel Macron et Marine Le Pen. [18]
Les relations avec le parti de Marine Le Pen sont plutôt chaleureuses. Plusieurs militant.es et cadres de l'UNI sont membres du Rassemblement national, voire collaborateurs.trices parlementaires de député.es du Rassemblement national. L'UNI était présente à la rentrée politique du Rassemblement national pendant l'été 2023. [19] Des délégués nationaux de l'UNI ont par ailleurs rencontré des députés RN afin de discuter de mesures à propos des conditions d'études. Les deux organisations sont si proches que l'ex-délégué national de l'UNI, Jacques Smith, s'inquiétait, dans des propos relatés par un article du Monde, de la fuite de militant.es de l'UNI vers le RN, des postes de collaborateurs.rices parlementaires s'étant ouverts à la suite de la percée électorale du Rassemblement national aux élections législatives de 2022. [20]
En outre, il semble exister une certaine porosité entre l'UNI et Reconquête, le parti d'Éric Zemmour. Condamné pour injures homophobes, injures racistes, provocation à la haine religieuse envers les personnes musulmanes, provocation à la haine raciale et provocation à la discrimination raciale, Éric Zemmour est le président de Reconquête, un parti nationaliste d'extrême-droite. Ce parti fait la promotion d'idées racistes et identitaires, ainsi que de théories xénophobes et complotistes comme la théorie du "grand remplacement", développée par l'essayiste Renaud Camus. [21]
L'UNI revendiquera sa présence à l'université d'été de Reconquête de 2023, affirmant y "défendre nos valeurs". [22] L'organisation tentera également d'inviter Stanislas Rigault, président de Génération Z, le mouvement de jeunesse d'Éric Zemmour, à l'université Côte d'Azur en mars 2023. [23] L'UNI partagera la cagnotte de Jean Messiah, polémiste proche d'Éric Zemmour et de Reconquête, en soutien à la famille du policier ayant tué Nahel à Nanterre en juin 2023. [24] Par ailleurs, beaucoup de militant.es et cadres de l'UNI militent à Génération Z ou Reconquête, Jacques Smith expliquant même que "l'immense majorité" des membres de l'organisation milite chez Génération Z. [25]
En résumé, l'UNI est une organisation fondée avec l'aide de Jacques Foccart et de militant.es du SAC, milice gaulliste dissoute après avoir assassiné la famille de Jacques Massié. Elle a fondé un mouvement d'idée de la droite réactionnaire, le MIL. Elle a travaillé sur les facultés avec une organisation d'extrême-droite, le GUD. Elle défend dans ses discours des valeurs xénophobes et réactionnaires et collabore aujourd'hui avec toute l'extrême-droite française, tout en se revendiquant de la "droite modérée". Une "droite modérée" qui porte, trait pour trait, le visage de l'extrême-droite.
Notes de bas de page.
[1] Franck Johannes, Nicolas Lebourg, "L’extrême droite est une vision du monde, pas un programme", Le Monde, 31 octobre 2021
[2] https://www.uni.asso.fr/campagnes/droit-de-vote-des-immigres/
[3] https://www.uni.asso.fr/campagnes/trop-dimmigration-nuit-a-lassimilation/
[4] https://www.uni.asso.fr/campagnes/lassimilitation-lantidote-contre-le-communautarisme/
[5] https://www.uni.asso.fr/campagnes/communautarisme-non-a-la-france-morcelee/
[6] François Audigier, Histoire du S.A.C., Perrin, 2021
[7] Usul, Ostpolitik, "Charles Pasqua, super flic, méga bandit.", Blast, 14 décembre 2022
[8] François Audigier, Histoire du S.A.C., Perrin, 2021
[9] Olivier Faye, Abel Mestre et Caroline Monnot, "Qu'est-ce que l'UNI", Le Monde, 5 février 2012
[10] Jack Marchal, Frédéric Chatillon et Thomas Lagane, Les Rats maudits : histoire des étudiants nationalistes, 1965-1995, Éditions de Monts d'Arrée, 1995
[11] Marine Turchi, "A l'UNI: « La xénophobie, ça remotive »", Médiapart, 5 février 2012
[12] https://x.com/UNI_Orleans/status/1704096121025425605?s=20
[13] https://twitter.com/droiteuniv/status/1716445944189743468?s=46
[14] https://twitter.com/droiteuniv/status/1708480525168517371?s=46
[15] https://x.com/NicolasBoutin11/status/1513911121463422978?s=20
[17] Christophe Gueugneau, "Encore taboue pour les partis, l’union des droites passe par des mouvements de jeunesse", Mediapart, 24 avril 2023
[18] Sébastien Bourdon, "Des groupes d’extrême droite tentent de tuer dans l’œuf le mouvement étudiant naissant", Mediapart, 14 avril 2022
[19] https://x.com/droiteuniv/status/1708152667397075124?s=20
[20] Ivanne Trippenbach, "Avis de tempête à Reconquête!, le parti d'Éric Zemmour", Le Monde, 16 juillet 2022
[21] Edwy Plenel, "L’idéologie meurtrière promue par Zemmour", Mediapart, 4 janvier 2015
[22] https://twitter.com/droiteuniv/status/1708152667397075124?s=46
[23] https://twitter.com/uni_nice/status/1633837255751254016
[24] https://twitter.com/droiteuniv/status/1675839613032624128?s=46
[25] Ivanne Trippenbach, "Avis de tempête à Reconquête!, le parti d'Éric Zemmour", Le Monde, 16 juillet 2022