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Billet de blog 17 février 2010

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MUSIQUES

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

MUSIQUES!

Outre mes préoccupationsnaturalistes, auxquelles j'ai déjà consacré temps et voyages,bivouacs et rêveries, contre-rendus et militantisme, actions sur leterrain, etc… j'ai toujours gardé une sensibilité particulièrepour la musique et plus particulièrement la musique française. Unde mes grands bonheurs est toujours d'écouter doucement Debussy parune silencieuse nuit de bivouac, quelque fois interminable, mais pasnécessairement romantique ou glacée…

Mais pourquoi dire ces choses-là,somme toute assez personnelles , qu'on n'aborde guère sur Médiapart?

Parce que je m'étonne de notrecivilisation prétentieuse, comblée de moyens extravagants, maisqui, en fait, ne sait pas faire grand'chose, si j'en crois ce que lesretraités s'échangent avec tant ferveur informatique ?

Je ne peux m'empêcher de penser à mesparents et grands parents, qui étaient des gens extrêmementmodestes : Mon grand père était métayer (on disait vigneron)et ne possédait guère qu'un lit, une armoire et une commode pourchanger de vêtements; mais dans sa famille tout le monde savait lirela musique, car mon grand père possédait une grosse réputation àM., petit village bourguignon de réputation nationale; mon grandpère était, parait-il le grand soliste de l'harmonie municipale,célèbre à l'époque; mais, comme tous les mâles de sa famille, ilétait mort très jeune à cinquante ans exactement, et je ne l'aipas connu. À cette époque les anciens enseignaient la musique auxjeunes du pays, j'ai donc appris, comme tout le monde, la musique àM., où on me parlait toujours et sans cesse de mon grand père.

Il faut rappeler que les habitants deM. avaient pour habitude de se donner en spectacles à eux-mêmesdans des fêtes paroissiales et républicaines : concerts, danses,théâtre, défilés, processions… où chacun avait sa spécialitéde musicien, poète, conteur, comique troupier, dont l'un est restécélèbre en patois bourguignon avec « LeChâpiau d'la Nânette. »

Mon grand père était donc le roi despolkas piquées, dites « tugudu », qui était unstyle d'articulation au cornet à piston, de notes très rapprochées.Mais faut-il encore préciser, le spectacle continuait dans la rue,où chacun avait longuement étudié son rôle local, et ainsi j'aigrandi entre des « figures », alors que maintenantj'ai l'impression de vivre entourés de guignols singeant lafantasmagorie télévisuelle ?

Mon père et ma mère étaientégalement musiciens, comme beaucoup de gens de cette époque; et jeremarque qu'ils connaissaient la musique contemporaine : la premièremusique que j'aie entendu est certainement la seconde barcarolle deFauré, que ma mère violonait assez maladroitement à ses bébés.C'était une époque où les adaptations musicales populairesfoisonnaient et il traînait chez nous plein de petites partitionsdouble-pages de chez Salabert, transcriptions de Fauré, Massenet,Messager, R.Hahn, Offenbach, Ravel, Strauss (Léon, Johan, pasRichard…). C'était pas tout à fait contemporain, à l'époqueoù je les trouvais, mais c'étaient bien des contemporains de mesparents, qui les jouaient.

J'allais aussi quelques fois envacances chez ma grand'mère maternelle à PARIS; la brave etvieille dame était obligée, pour vivre, de coudre à domicile, desbretelles de combinaisons, mais elle m'emmenait au Châtelet ou àl'Opéra Comique, car on y vendait, à cette époque des placesdebout, très bon marché : J'y ai vu les Contes d'Hoffmann, Carmen,le Pays du Sourire, Véronique, Valses de Vienne… plusieurs fois.Tout cela pour montrer que la musique contemporaine française étaittrès populaire à l'époque.

Imaginez Les « Contis »improvisant un concert Kornglod ou Messiaen ?

Ça vous semblerait étrange ?

Donc je suis tombé dans la musiquefrançaise très tôt et j'ai bien sûr élargi ma palette avec cegrand furieux de Beethoven, dont je possédais tous les quatuors etles symphonies (les partitions de poche de chez Heugel) et lenon moins furieux Wagner… mais cela était un mauvais passaged'adolescent romantique et bien vite « LesJeunesses Musicales de France » m'ont fait retomberdans les délicatesses délicieuses de la musique française : Je mesouviens très bien d'un conférencier qui avait fréquentépersonnellement Maurice Ravel, mort il est vrai dix ans auparavant;et je me souviens très bien encore d'une série de conférencesintitulées : « L'Enchantement del'Opérette française du XX° siècle », qui, jecrois bien, étaient poursuivies sur Radio-France de l'époque, oùon jouait beaucoup Chausson, Satie, Pierné, Ducas, Roussel,Canteloube, Duparc, Honegger, Milhaud… musiciens à peu prèsoubliés aujourd'hui, et bien sûr Debussy et Ravel.

Mais on n'oubliait pas non plus leurscousins germains Espagnols, sinon Slaves, jusqu'à Bartok etStrawinsky…

Toutes ces œuvres musicales je lesconnaissais à peu près par cœur dès les premières mesures, sinonl'auteur ou l'époque… etc, mais elles sont sources, désormais, d'une émotion de plus en plus forte, qui me laisse très perplexesur la richesse de notre civilisation continentale du XX° siècle: Je sais que la musique est une illusion, mais elle me semble êtrela couleur des pensées de l'époque et cela me laisse tout rêveurde me retrouver dans les pensées de Debussy.

Écoutez donc la couleur de la penséecontemporaine ?

J'en conserve quelques favoris, etparticulièrement des quatuors à cordes ou des sonates, qui metirent régulièrement des larmes de souvenirs tendres : Duparc,Janacek, Puccini, Rachmaninoff, de Falla, Granados, Borodine, Rimsky(c'est un surnom qu'on m'avait donné très tôt), Respighi… et toujours Debussy et Ravel.

On était donc très éloignés desgrandiloquents imitateurs des vieux furieux : Brückner, Mahler,Hindemith et autre Schönberg et Berg, Webern, et même Brahms…qu'on entend beaucoup trop en ces temps d'incertitudes philosophiques?

Je conserve encore un précieuxsouvenir de Sviatoslav Richter interprétant « leClair de Lune » de Debussy au T.N.P. deVilleurbanne; de même « L'Histoire duSoldat » de Strawinsky, Mahagony, Zweick, etc…C'était peut être très, très dirigiste, et politiquement engagé,mais c'était autre chose que « leschiffres et les lettres » ?

Voilà, nous sommes aujourd'hui, dansune civilisation d'épiciers, et c'est le grand triomphe des Anglaiset de leurs successeurs Américains.

Zarathoustra l'avait bien dit, depuislongtemps : «Jehais ce peuple d'épiciers qui vont ramasser le moindre avantage dansles ordures… (car) Oùcommence le marché, commence aussi le vacarme des grands comédienset le bourdonnement des mouches venimeuses… La place du marchéest pleine de bouffons solennels.»

Voilà, après bien des voyages et desbifurcations, des rencontres et des innovations fraichement acquises,bien des idées et des théories, des lectures et des musiciensétonnants ou audacieux… « Je venaisdu côté de la mer… » et je reviens toujours àM., petit village bourguignon, qui est le berceau de ma famille àpeu près disparue, le berceau de mes pensées et de mes goûtsmusicaux…

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