On y croyait. On voyait ces sondages que par ailleurs on conchiait annoncer qu’il montait et on y croyait. Le vote utile changeait de camp, de Hamon à Mélenchon, la bascule irrésistible, et puis ce qu’il disait, cette verve si proche de ce qu’on pensait, cette ferveur qu’il savait mobiliser, ces soutiens dans lesquels on se reconnaissait, son charisme bonhomme, on s’est pris à se dire que c’était possible, changer de logique, reprendre collectivement la main, alors on a oublié les petites réticences, les détails du programme qui nous faisait tiquer, les outrances, on s’est dit « c’est pas grave », détails, broutilles, il va nous transformer tout ça, on s’est mis à y croire à cet homme providentiel qu’il voulait ne pas être et on a tous voté pour lui comme un seul homme, ma famille, mes proches, mes amis, mes collègues aussi. On avait vu aussi, pour beaucoup d’entre nous le documentaire sur l’anarchie programmé sur Arte et ça nous avait galvanisé. Heureux de voter pour changer l’Histoire, au risque de mettre le petit Benoit dans une sale position mais qu’importe, les chiffres allaient monter, submerger l’élection, c’était déjà un deuxième tour pour lequel on votait, la victoire d’autre chose, enfin ! On y a tous cru. Même lui.
Et puis les résultats, auxquels on ne veut pas croire, qui doivent évoluer. La pauvre Raquel, dans son sourire un peu vide, qui dénie. On se fait peu à peu à l’idée que le rêve n’est pas passé. On descend. Enfin lui, groggy, notre bretteur à la verve d’or qui se refuse à quitter le ring, à sortir de la bulle qui nous a fait planer, sa faconde dégrisée, des mots, touchants, déçus, un peu gris.
On était parti pour un grand soir électoral.
Flop
Ne restent sur le ring que Ken et Brigitte versus la Grosse Tambouille populiste. Les sorties plus ou moins élégantes des perdants, les sourires énervants de ceux qui restent en compétition.
Je serai toujours reconnaissant à Jean Luc Mélenchon de ce qu’il a donné ou redonné le goût du politique au sens noble à une génération, celle des Nuit Debout, mais aussi aux sans-dents, offert une voie qui n’était pas celle du rejet de l’autre, voire de la haine et du repli, mais de l’ouverture au futur, de l’ouverture des possibles, de la proximité, de l’élégance familière, de l’écoute, de la révolte. Je suis épaté et fier qu’il ait réussi à réunir sur son nom une telle multitude dont je fais partie.
Mais le dégrisement est tel que j’entends autour de moi dire : pas avec moi, je voterai blanc ou nul ou pas. Le soufflé qui retombe dont on ne voit pas à suite.
Parce que nous qui nous sommes enflammés en peu de temps pour beaucoup d’entre nous, -parce que le reste du temps on s’occupe d’autre chose-, ce goût du Grand Soir qui nous prend comme un spasme ponctuel, on en finirait là ?
On utilise beaucoup trop souvent le mot « colère » dans les débats politiques au risque de le dévaluer, symptôme alarmant de la montée de l’émotionnel aux dépends de la pensée.
De la qualification de Macron au second tour, je dirais « c’est pas pire » qui me semble totalement idoine à la situation. Dramatiser ne sert à rien. Ce qui m’inquiète c’est l’ « autre » et ceux qui s’égarent à la soutenir. Il faut régler ça d’abord, sans enthousiasme certes, mais fermement.
Mais ensuite il nous faut un avenir. 19,5% qui l’eût dit ? Il y a quelque chose à créer, non pas de figé mais en mouvement, un truc qui dirait « nous pouvons », parce que c’est vrai.
Il nous faut apprendre nous aussi à manier le verbe et à le partager.
Et construire.
PP