La coïncidence des protestations venues de Guyane avec la période électorale que nous vivons est particulièrement bienvenue et révélatrice. A l’heure où nous allons célébrer une fois encore les présidentielles, synonyme de pouvoir hyper-centralisé, ce coup de gueule d’un territoire à tout le moins périphérique donne matière à réflexion. Parce que ce qu’on entend, ce malaise qui se diffuse et se manifeste dans les rues et les urnes pourrait bien être le cri de toutes les périphéries qu’elles soient sociales, culturelles ou territoriales.
Notons que le pouvoir personnel et centralisé installé par la constitution de la Vème république le fut en pleine décolonisation alors qu’auparavant la France Libre de De Gaulle s’était appuyé essentiellement sur les périphéries, et que les premiers morts de leur reconquête furent très probablement des Camerounais. Cette domination que d’aucuns voudraient définitive du centre et du ventre sur les lisières, et des jacobins sur les girondins, fait irrésistiblement penser aux stratégies féodales et à la façon dont les places fortes étaient organisées autour d’un donjon, véritable cœur de la résistance et du pouvoir. Un choix qui n’est pas neuf donc, organisé depuis par la monarchie absolue puis repris par nos républiques. Une stratégie vieillotte et qui sent d’autan t plus le sapin que la facilité et la multiplication des communications rend d’autant plus insupportables aux populations concernées cette sorte d’exil dans lequel le centre a tendance à les cantonner.
Depuis des lustres, il y a une défiance, voire un mépris certain des cours de pouvoir pour ce qui se trouve en lisère, en frontière, pour tout ce qui est loin. Déjà au-delà du boulevard périphérique… Imaginons une organisation inverse où tout le paquet est mis sur les limites. Si l’Etat consacrait à la Guyane, et aux départements d’outre-mer le dixième des budgets qu’elle consacre à la capitale, mais surtout considérait autrement ses habitants, les choses en iraient autrement. Un peu comme en Alsace-Moselle, cette exception. Parce que ce n’est pas qu’une question de moyen c’est aussi un changement de mentalité, celle qui met en suspicion l’épiderme et la peau au profit du cœur et du cerveau auxquels bien évidemment, depuis si longtemps, s’identifient nos dirigeants. Les citoyens décentrés sont ceux de la surface, ceux qui se prennent les saletés de l’étranger, ceux qu’il faut laver, dont on peut s’amputer, qu’on peut perdre ou gratter quand ça démange. Et ce non-dit : si nos lisières sont prospères elles risquent de vouloir jouer les filles de l’air. Résultat : elles végètent alors qu’elles possèdent de solides arguments pour jouer des rôles importants dans leur proche voisinage. Ce gâchis des DOM que tous les gouvernements maintiennent de facto sous perfusion, se plaignant d’une dépendance soigneusement entretenue plutôt que de miser sur eux pour préparer un avenir. C’est petit, c’est mesquin, stratégie sans lendemain.
On aura bien compris que ces périphéries dont nous parlons ne sont pas seulement territoriales, que les mêmes politiques s’appliquent partout en métropole, entre les régions, les classes, les métiers et les populations. On aura compris que, sauf à grenouiller pour entrer au donjon, la plupart des citoyens sont condamnés à une sorte d’exil social et politique. Que, dans notre système et depuis des lustres, l’autre lointain n’est pas un Je.
A se demander si nous ne sommes pas tous des périphériens.