La notion de genre est forcément clivante : c’est bien parce qu’elle appelle la différence et qu’elle circonscrit des espaces d’identité cadenassés. On ne dit pas « tu seras un homme ma fille » sans s’exposer à des réactions violentes qui s’offusquent du trouble causé à la surface des choses.
Le genre n’est donc pas qu’une injonction culturelle impérative ; il attribue des places, définit des modes de rapport entre les êtres humains, les rassure sur une éventuelle désintégration, une hypothétique confusion du même.
Mais, hélas, le genre est vieux parce que le support du genre est le naturel qui s’enfuit au galop. Tandis que la femelle devant le feu dans la grotte élève les loupiots tout en attendant d’autres, le mâle jette une lance sur le front des mammouths pour ramener pitance en la demeure. C’est bien ça le drame du genre, le monde a changé dans la facilité de se nourrir et de faire des enfants. La technique trouble le genre : on mange des sauterelles, on congèle le sperme et on fait du jogging.
Il y a du fantasme absolu dans la question du genre, car, pour la plupart d’entre nous, nous n’interrogeons pas le genre qui nous a été donné à l’origine. Pour la plupart d’entre nous, nous ne choisissons pas notre sexe, nous faisons avec ou le vivons sans trop de problèmes. Nous sommes ce que nous sommes dans nos hétéromanies majoritaires ou homomanies reconnues ou nos bimanies plus secrètes. L’appendice du sexe est la sexualité qui dit quelque chose de la sortie du déterminisme du genre, un endroit ou il est question de choix, ou chacun dit sa joie ou sa crainte, son indifférence de livrer ou d’offrir son corps à l’autre ou aux autres (la question du deux, la question de l’éternité, la question du simultané, la question de la retenue, la question de la passion) et là, nous sommes sortis de la grotte. Restent les universaux de l’indifférence de la conquête ou de la souffrance d’être plaqué comme une vieille chaussette sale
Dans la fureur de vivre quelques rares d’entre nous vont faire péter les chaines du genre dans un souffle qui n’est pas que liberté, mais un impératif : un destin, une vie portée par son intensité et par sa durée. Je ne peux pas savoir si ça rend trop malheureux ou très heureux, c’est comme ça, ça ne discute pas. (Je me rappelle le satyricon de Fellini et son hermaphrodite fragile, trainé dans une carriole vers le bonheur des princes)
Le genre, c’est complexe au point ou je n’arrive pas à qualifier de simples abrutis les guerriers du mauvais genre qui manifestaient récemment : on peut reconnaitre à certains le bénéfice de la haine, de l’autodafé ; il ne ferait pas bon les croiser, certains soirs de rue mal éclairée. Ce qui étonne, c’est la symétrie qu’ils font entre sexe et sexualité, on comprend mieux leur posture missionnaire.