Les immenses cadenas posés sur l’organisation sociale, les mensonges paralysants de la solution unique, les diverses dépendances du « trop à perdre et pas assez à gagner » l’opacité de l’avenir conduisent les institutions à construire un mur au fond d’une impasse ; la transformation, le changement, le meilleur deviennent des thèmes menaçants. Quoi penser, quoi traverser, quoi agir sans déclencher la panique, la sienne en particulier ?
S’énerver dans le système parait l’entretenir artificiellement : c’est celui qui le dit qui y est. J’ai vite la sensation désagréable que quelque chose de fou et qui est en train de mourir tente de m’étouffer, d’avoir une emprise illimitée sur mon quotidien, sur mes espaces de liberté. Où se poser dans le scandale de l’intrusion ?
À certains moments, je ressens cet impératif de dégagement comme une respiration vitale quand on est sous l’eau. Sortir de cette nasse, me décaler, penser d’ailleurs pour simplement pouvoir penser, pour pouvoir respirer. Évidemment penser et agir ensemble d’abord, sortir d’un nombrilisme et d’un égoïsme qui entretiennent des vérités illusoires au fond de la grotte, se bouger le cul quoi, se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi.
Le penser d’ailleurs est vite une position simplement narcissiquement satisfaisante et hautaine alors que la société croule en son cœur sous les problèmes immédiats gigantesques concrets et appelle une résistance, c’est-à-dire à vivre pleinement, en être, y être avec l’acuité d’une vigilance qui ne cède rien. S’abstraire du temps est à cet endroit lourd de conséquences. On ne lâche rien au risque des lendemains qui déchantent, on refuse le cours du temps comme une impasse, vivre l’instant et ne rien lui céder. En être, y être au lieu de se percher dans son petit village, dans les nuages.
C’est donc autour de cette difficulté, de ces impossibilités qu’il me faut vivre : une organisation sociale dans laquelle la pensée est superflue, un monde oppressant qui impose l’urgence et force à l’immédiat : soyons réactifs, soyons la réaction.
La condition obligatoire de la dimension collective étant posée, trouver l’ailleurs est une odyssée dont le résultat n’est pas connu d’avance. Où est l’ailleurs dans un monde traversé par les avions, les drones, les ondes électromagnétiques ? Le ciel est un linéaire de supermarché qui se livre à domicile, dans un chez soi ou je suis toujours assigné. Ou est l’ailleurs puisque le ciel m’a lâché.
Alors, peut être, reprendre à la base. Se forcer à voir et à entendre, relâcher les vigilances, les déplacer. Attraper l’ailleurs comme il veut bien se donner, comme un fruit mûr. L’ailleurs, cet espoir est à portée de mes mains, sous mes yeux à condition de ne pas voir l’ici comme l’ailleurs.