On n’aurait tort de mésestimer la portée profonde de la phrase ,« non, mais, allo, t’es une fille et tu n’as pas de shampoing », ne serait-ce que par le fait qu’elle transpire d’une haute valeur symbolique ajoutée : la fille doit avoir du shampoing sous la main, elle n’est pas burnout, elle se pose fière dans sa féminité, elle ne dérobe pas à la nécessité d’éviter à ses cheveux l’injure du sale, du gras, du pelliculeux, de l’indisponibilité.
Même si personne ne doute qu’il s’agit d’une convention (après tout, n’importe quel homme pourrait se revendiquer du shampoing, sans devoir faire son allégeance au savon de Marseille), on assiste à l’affirmation d’une évidente identité, basique, simple, non pas que si tu n’as pas de shampoing, tu n’es pas une fille, mais si tu n’as pas de shampoing, tu es une fille qui déraille, qui déchoit, une méchante fille. Le message se veut rassurant, et l’objectif facile d’accès. On tient bon à sa place assignée.
Nabila n’est pas mauvaise, elle multiplie les rappels à l’ordre, les leçons et les refus. Derrière l’apparence du caprice, on débusque le têtu de ne pas aller n’importe où. C’est une forme moderne du conservatisme le plus décomplexé et le plus joyeux, le plus tolérant qui dirait que les autres font ce qu’ils veulent, mais que moi, je fais comme je dois. Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais c’est justement fait pour ça. Car si l’épilation signe le style Nabila dans le code culturel proposé, la coiffure demeure un lieu d’excellence consensuel, au poil près. On s’y retrouve souvent surpris, mais toujours à l’endroit, du bon côté dirais-je à partir d’une lecture un peu missionnaire. Je le prétends, Nabila est une leçon de morale.
Nabila n’exclut jamais vraiment, elle bouderait plutôt. Bienveillante, bonne copine, elle est entourée de personnages plus improbables les uns que les autres, avec la consigne que, dans le zinzin chacun doit composer l’image attendue et il y a comme ça dans ces apparitions, une multitude d’archétypes réactionnaires, comiques (dont l’excentricité même ne porte les germes d’aucun clapotis du moindre changement collectif, ni de la moindre remise en cause de l’ordre du monde) et empêtrés dans les tracas du quotidien (ce qu’on appelle des travers qui nous font soupirer), tandis que les vieux ont le droit d’emmerder le monde, on les plaint, et on les tolère. On peut tenter des expériences pour essayer de codifier les bonnes manières et démontrer les infaisables : on ne couche pas en chien de fusil, on ne mange des larves de hanneton, on n’arrive pas en poney chez sa manucure. Dans cette même lignée, on la repère assez famille, en couple, en lien avec une grand-mère qu’elle aime. Elle a donc des racines, une histoire métissée. Nabila a les attributs qu’il faut, là où il faut, mais elle est loin de n’être qu’un corps sans être non plus un grand esprit. C’est une synthèse réussie de l’apparence, de la malice et de l’autodérision parce qu’elle se connait bien, la bougresse. Elle mesure bien l’effet qu’elle produit et la fascination qu’elle induit, une force sans contenu.
Certes, Nabila fait sa cruche de service, n’allume pas les intellectuels dans sa politesse exemplaire, mais leur signifie leur vacuité : ça va me servir à quoi de me servir de mots que je ne comprends pas et qui ne me seront pas utiles. Elle délivre un message de modestie, elle reste dans ce qu’elle sait faire et elle sait que ce qu’elle sait faire est d’être regardé tout en ne reconnaissant jamais d’infériorité à cet endroit. Son humour la défend d’une sexualité brute de pomme, le tout proposant une éthique du futile ou l’important n’est pas grand-chose.
Nabila est un mode d’emploi du quotidien parce qu’elle y est vraiment. C’est absolument dingue l’énergie qu’elle met à l’interrogation et à la résolution de questions secondaires. C’est sûr qu’on ne va pas inventer l’eau chaude, mais du coup, le quotidien se propose avec une intensité et une magie rare. Le choix des chaussures, le dialogue avec la maquilleuse. En plus, c’est totalement rassurant parce que nous connaissons dès le début la fin de l’histoire. Le drame est toujours relatif, le paroxysme est souvent atteint avec une terrifiante pénurie de crème de bronzage ; ça donne une valeur, une densité incomparable à la vie de tous les jours et ça occupe.
Au fond, quand nous regardons vulgairement Nabila comme une Bimbo lobotomisée, elle doit nous faire comme un pied de nez. En effet, Nabila déborde sur le terrain du modèle d’identification, sur cette capacité, à nous ramener vers l’accessible, le consommable et à la frime. Elle est le triomphe du système actuel. Qu’allons-nous nous pourrir la vie avec la complexité du monde quand la vie est courte et qu’on a tellement à faire chaque heure de chaque jour ? Le tout, c’est de croire aux chimères, aux contes de fées et au chignon lâche.Chacun sa misère et Carpe diem !