La trêve hivernale se termine. La guerre reprend. On a du mal à nommer cette guerre comme si elle n’existait que par sa trêve. Mais cette guerre a un nom terrible : la guerre contre les pauvres, la guerre pour la rentabilité, la paix pour ceux qui peuvent s’endormir sur les oreilles des autres.
Nous attendions de la gauche qu’elle en finisse avec cette vision thermométrique du pauvre, nous espérions à tort un regard moins métabolique. Il faut que tu ne refroidisses pas trop, il faut que tu manges un peu à ta faim quand la bise fut venue, il faut t’entourer de quelques murs pas trop loin d’un radiateur. Il faut hiberner, mon brave, t’abstraire de tes nécessités pour ne pas crever dans la rue, mais surtout essaye de garder un long sommeil d’hiver. Ainsi donc, grâce à la charité républicaine, la barbaque réchauffée, alimentée rationnellement se tient à une juste distance du brasero de la mauvaise conscience générale ou de la haine policée, assez loin, mais présente et est sommée de prendre l’air dés que le printemps revient.
L’égalité républicaine a ses priorités : quand elle souffre elle-même de disette budgétaire, elle réduit la voilure de sa prodigalité ; du coup, toute chose étant égale par ailleurs, il est question de novembre à mars d’une sorte d’obsession de la mise à l’abri, d’une vigilance affutée aux situations de fragilité, liée à l’insupportable visibilité de la misère sous le givre et la neige pour aboutir dés le 1er avril, à une vaste loto géant ou les choix de vulnérabilité qui conditionnent un maintien dans l’hébergement relèvent d’un savant mélange de fond de tiroir et d’arbitraire et de lobbying, laissant sur le carreau la grande majorité des planifiés froid.
L’inquiétant, dans cette affaire est sa banalisation : on s’habitue à écouter distraitement des arguments absurdes d’une technocratie monomaniaque qui ne parle que de son rapport à la norme, à ses contraintes, à son nombril technocratique et qui va se mêler, au pauvre près, à un étalonnage indécent de la morbidité. Mais, cette froide démence sert un objectif précis : s’éloigner psychiquement de l’horreur de la situation, ne pas en devenir sa serpillière sale à force d’éponger et, pour s’en défendre, compter, classer, vérifier, contrôler, en un mot en un seul, objectiver des objets humains dans un moment où la parole politique est désespérément absente.
Nous aurons donc le reporting, le benchmarking dans ce marché bien captif de l’exclusion : il ne faut surtout pas en rater un seul dés fois qu’il pourrait nous claquer dans les doigts. Triste monde, misère noire, si l’erreur est humaine et discutable, l’absurde est inattaquable. Aujourd’hui, la réalité est un prétexte à l’absurde qui attaque la réalité pour en faire une absurdité.
Dès lors, ces mots de pacte de responsabilité, de compétitivité qui nous encombrent la bouche et nous bouchent les oreilles ont-ils un accent faustien. Il y a une petite musique fâcheuse qui dit la vente de son âme au diable et la préservation de sa beauté, de sa bonté, de son opulence au prix de l’inacceptable.