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Billet de blog 4 juin 2014

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Béziers, le trouble de l’uniforme.

Le linge est devenu un symbole polémique, un sujet médiatique et l’habit ne fait pas le moine ; le linge est un espace de complexité ; voilement, dévoilement, exubérance et dissimulation, visibilité et invisibilité ; l’habit a su dépasser sa stricte fonction utilitaire de lutte contre le froid et le chaud, le bouclier qui s’interposerait contre les attaques de la nature.

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Le linge est devenu un symbole polémique, un sujet médiatique et l’habit ne fait pas le moine ; le linge est un espace de complexité ; voilement, dévoilement, exubérance et dissimulation, visibilité et invisibilité ; l’habit a su dépasser sa stricte fonction utilitaire de lutte contre le froid et le chaud, le bouclier qui s’interposerait contre les attaques de la nature. Ordinairement, on ne fait pas de vague en s’habillant ; on fait comme si on était un aimable sac de voyage, on ne donne pas à imaginer trop de signaux de sexe, de sueur et de larmes ; on ne délivre pas l’autre, le signe d’une disponibilité immédiate. Il y a parfois, dans le fait de ne pas s’habiller comme tout le monde, une prise de risque, un message habité.

 Pourtant, le linge avait accédé jusqu’à une date récente et dans nos latitudes, à un statut de jeu, une libre dissertation sur les codes culturels et par contrecoup, à une dimension mercantile de marqueur social, d’une volatilité sans nom. Peut-être que l’explosion du tatouage dit quelque chose de la résistance à cette incandescence, un besoin d’inscription dans la chair même pour ne pas prendre le risque de s’évanouir avec sa vêture. Le tatouage fait cri tandis que la burqa fait silence.

Mais l’habit reste cette frontière incomparable entre l’intérieur et l’extérieur, cette possibilité de se fondre dans l’atmosphère, de se dissimuler, de se neutraliser ou au contraire de faire acte de visibilité, de singularité, ou de singularité convenue. La ligne de démarcation sociale est scellée par les attributs supposés de la pute (y compris pour les garçons) : celle d’un corps pour un corps, qui ne s’embarrasse pas de questions inutiles sinon le coût monétaire et symbolique de la prestation, qui va droit au but sans fioritures. Mais comme tout le monde n’est pas une pute et qu’il faut protéger les enfants, les règles vestimentaires fixent un espace de négociation, le langage sur le linge est donc potentiellement investi d’une petite perversité qui ne viserait pas exclusivement une noble dénonciation de l’indigne, mais qui s’attarde un peu complaisamment sur le bestial, le sensoriel et le nu.

Le linge étant le plus proche de notre peau, les diverses tentatives des pouvoirs de les contrôler indiquent de bien mauvais nuages et l’arrivée d’un brouillard prévisible : sois le corps que je te dis d’être, fais le taire, fais-le ressembler au corps social et à un universel hypothétique. Le sens dessus dessous commence à faire flipper. Les dessous sont malheureusement assimilés à la dissimulation, à l’emprise et au pouvoir ce qui, quand même, dit quelque chose du malentendu du désir. Vas-tu vraiment accéder à ce que tu imagines ? Même pas dans tes rêves, une conclusion plutôt totalitaire vient plutôt casser le rêve comme possibilité même.

On dira donc ici que la phobie de l’étendage du linge touche alors au tabou d’exhibition chez les esprits troublés : la visibilité du dessous qui se balance négligemment au vent, la vision de la petite culotte nous mette sous le nez, un contact avec la peau, une proximité avec le sexe preuve en est que l’étendage d’un anorak déclenche moins des obsessions réglementaires. Exhiber le vêtement, son balancement dans le vent, c’est se suggérer nu, délié.

Le deuxième symptôme inévitable porte donc sur l’uniforme ; Robert Mairenard nouveau maire de Biaisé, craint la différence et l’extériorité. La blouse est la deuxième étape qui prolonge l’étendage. Faire porter la blouse est moins exalter le culte du pareil que de prévenir toute irruption du différent, du problématique ; littéralement, il s’agit de ne rien reconnaitre, on n’est pas là pour ça. On voit à cet endroit le danger maximal de prise du pouvoir par ce genre de marteau : il s’agit de nier les évidences, empêcher la confrontation des rencontres, circonscrire la vie sociale à des espaces vidés psychiquement, mais obsédés par la permanence du sensoriel, en nécessité de maîtrise.

Il y a non seulement quelque chose de blessant dans la montée des extrêmes, on redécouvre plus gravement la réalité d’un pouvoir dérangé et fêlé.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.