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Billet de blog 4 septembre 2013

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La rentrée : Le Joueur de flûte d’Hamelin à Pôle Emploi.

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La rentrée est un moment sociologique rare : on ne dira jamais assez l’importance du déplacement massif des jeunes générations vers des lieux ou l’ordre protocolaire impose la controverse entre l’éducation, l’instruction, l’enseignement. Répétons lentement : instruire, éduquer, enseigner. En y réfléchissant, on comprend mieux d’abord la beauté initiale de l’intention quand la société vient obligatoirement éveiller l’intelligence des enfants ; je le dis sans ironie, l’instruction obligatoire est une conquête sociale majeure contre l’ignorance et l’esclavage, mais se posent les moyens de sa prétention dans notre bas monde.

Pris panoramiquement, le point de vue change. Le champ des flux et de la vidange prend le dessus. Que de parcs publics déserts, que de bas d’immeuble muets, que de plages sans pelles et sans seaux, que de terrains vagues abandonnés. On est immédiatement frappé par l’ampleur programmée du déplacement et on saisit mieux le caractère anthropométrique de certaines évolutions : l’accès à la cantine grâce à une digitale reconnaissance, le suivi en temps réel au moyen de sites adéquats, le dépistage de l’absentéisme par la SMS attitude. L’instruction commence à se contredire avec son culte de l’immédiat, sa peur du vide, son anticipation du contentieux. Elle n’a guère de temporalité, elle court plutôt dans un présent essoufflé qui ressemble au lapin d’Alice au Pays des Merveilles. Le déni de l’échec est sa marque de fabrique : elle ne le voit pas.

En ce sens, on pourrait dire que l’Éducation nationale est un strict reflet de la société : de la simplification, de l’efficacité, des codes, de la norme. Le quotidien et le marché proposent immédiatement des outils d’accès aux compétences et au savoir qui mettent à mal les fondations de l’apprentissage : apprendre à apprendre, d’accord, mais pourquoi faire ? D’un côté malmené par une société inégalitaire et excluante qui est loin de faire une place à chacun, de l’autre par une immédiateté et une obsolescence programmée qui font du processus d’instruction un empêcheur à profit, l’école toussote et maltraite parfois.

Je me souviens, non sans nostalgie, du conte du Joueur de Flûte d’Hamelin. Résumé des chapitres précédents : les habitants d’une Ville refusent de payer un joueur de flûte qui a débarrassé l’endroit des rats envahisseurs. Pour se venger, une nuit, il entraîne tous les enfants loin de la ville et ils disparaissent.

Le conte est à entrées multiples : il pourrait dire qu’une dette non payée, c’est aussi un don. Que le don appelle un contre don. Mais, en l’espèce, parce que le conte ne dit pas ce que deviennent les enfants (pas d’affreuses descriptions de leur noyade ou de leur disparition), il laisse entendre que les enfants sont partis, ont grandi, sont devenus, c’est-à-dire que les enfants en tant qu’enfants ne sont plus là. Je n’ai pas trop cherché, mais je pense que cette dimension d’arrachement pour grandir a été largement renseignée. Il y a du déchirement, de la perte, orchestré par un musicien en colère, c’est le prix à payer pour l’accès au monde adulte.

Que reste-t-il de la fable ? On sait que le savoir peut être gai et heureusement, qu’il y a potentiellement du plaisir à apprendre, mais on fait l’impasse sur ce moment de transition violente, qui demande de la confiance et de la distance entre les habitants et le joueur de flûte. Les parents, les enseignants, les enfants sont pris dans une même tourmente. Craignant un procès, l’Éducation nationale a grassement payé le joueur de flûte, elle l’a même nommé au Ministère comme responsable de la sous-direction des opérations de dératisation, poste malheureusement supprimé à cause des contraintes budgétaires.

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