On a tous en tête un petit côté pomme d’amour, barbe à papa dans une fête foraine. Comme il serait doux que nous tournions en rire sur des manèges. Ce serait notre jardin d’utopie, le vivre ensemble apaisé.
C’est de cette façon que l’Etat républicain nous vend l’égalité, ce moment idyllique ou l’exploitation de l’homme par l’homme tendrait à se rapprocher du néant. Tant va la cruche au DALO qu’à la fin, elle se brise.
Les réalités d’aujourd’hui donnent une consistance funeste à l’égalité. L’égalité est tout d’abord un signe distinctif de classe. A un endroit où les niches fiscales signent le haut du pavé, le bas du pavé se voit sommé d’être égalitaire pour le plus grand bien de sa servitude.
En effet, comme disait ma grand-mère, tout dépend ; si l’égalité ne s’inscrit pas dans un partage, ni dans une dynamique d’échange et de conquête, elle se réduit à un outil de gestion des populations, renforcé par la déliquescence de son mentor, la politique. Partant de l’évidence que si l’égalité est un moyen juste de faire société et qu’à ce titre, elle fait l’objet de choix, de débats, de luttes et d’acquis, nous contemplons la flétrissure d’une icône creuse, trop maquillée, pas très reluisante, à qui il faudrait ânonner quelques hommages d’habitude et de circonstance.
La technocratie galopante joue heureusement le rôle de la prothèse magique ; ça avait le pompeux de l’égalité, ça avait son nom, mais ce n’en était pas.
L’extraordinaire pénurie de logements, doublée d’une incroyable singularité des parcours de vie des gens en difficulté appelle à une injonction réductrice : tous en rang et dans l’ordre, nous allons vous enregistrer et ne ratez pas votre tour ; Sans ça, vous redescendez en bas de la liste ; Sans rire, les services de l’Etat nous vendent cette égalité, totalement décalée de toute réalité, de toute liberté ; Courant après ses brebis égarés pour leur proposer une place dans le parc (je n’invente pas) pour 1000 demandes.
Le travail social s’apparente donc à un silo ou l’on stocke emmagasine, compte les petits grains obscurs des demandes. L’observation froide nous montre tel le naufrage du Titanic, le passage de la notion de travail social à celle de contrôle social, cet océan arctique ou seul le management prétendument efficace peut organiser le contrôle, à l’endroit où se noie l’espérance des qualifications et des compétences au nom des coûts décrits comme tendanciellement exorbitants qui ne comptent jamais le cout du contrôle et le champ de ruines qu’il faudra reconstruire. (Bizarrement, l’action sociale, c’est comme le nucléaire). Le travail social est donc traité au même titre que la fabrication automatisée des yaourts comme un ensemble de processus dans lequel il faudrait débusquer la boulimie dépensière au nom de la religion managériale qui par certain de ses aspects nous rappelle le catéchisme scientologique.
La technocratie convoque les acteurs à la grande messe de l’égalité ; assurons-nous que l’ordre d’inscription règne et célébrons ce moment virtuel, tout en glanant quelques informations utiles qui nous aideront à rejeter leurs demandes tellement ils n’ont pas de ressources, tellement ils n’arrêtent pas de faire des enfants, tellement ils ne sont jamais ou ils devraient être.
Les professionnels sont utilement sommés de participer car quand on est ivre jusqu’à plus soif dans un système de tri, on n’en sort pas et on revient à la case départ en faisant à l’ancienne le sauvetage souterrain, discret de ses propres brebis. En plus, l’acteur englué comme dans du papier tue- mouche puisqu’on peut lui couper les vivres ne s’attaque pas à la folie du système pour ne pas crever. Silence dans les rangs.
Il faut bien quelques soupapes à ce mensonge organisé, il s’appellera hébergement ; puisque la dureté des temps et du pacte de responsabilité ne permet pas de loger, on hébergera le cœur sur la main, avec la pochette surprise du bon sentiment, de la bonté débordante. On hébergera dans la précarité illimitée, dans le verbiage technocratique de la transition qui appelle du glissant (le bail). Transition glissante dans surface habitable précaire, voilà la réussite.
Dans ce petit monde étriqué de la pénurie égalitaire, que voulez-vous qu’il se passa ? Les acteurs associatifs se tirent la bourre comme des bêtes. C’est à qui traitera ce marché de la misère au moins disant. A ce jeu, la concurrence est faussée, la dose de compassionnel portée au-delà du raisonnable rend possible l’accueil à n’importe quel prix, les politiques de l’ETAT ne sont pas loin, à certains endroits des ambitions des marchands de sommeil, le très cruel plus avec moins, l’idolâtrie du quantitatif.
Ce système constitue un tremplin fécond à la maltraitance. Faire subir à chaque échelon inférieur, les injonctions folles, les discours impossibles qui s’amplifient au fur et à mesure de la descente hiérarchique. Evidemment, on me trouvera trop complaisant avec les cadres, les financeurs et les décideurs. On aurait tendance à dire, ils sont le jeu de la même violence et des mêmes contraintes. Et bien pas que. Je trouve que l’air du temps développe des perversités spectaculaires au niveau du management ; les paroles qui rendent fous, les mots en perte de sens, les objectifs délirants, quand il ne s’agit pas de menaces directes de fermeture ou de licenciement. L’égalité pour reparler d’elle devient ce paravent à tout traitement personnalisé des situations, ce déni de toute urgence, la parole d’égalité masque l’inégalité de fait et augmente l’imposante épaisseur de la file d’attente.
A force de traiter l’égalité comme la compilation de pièces administratives, dument estampillées, on s’en éloigne à grand pas avec la petite pointe de sadisme qui vient dire que le dossier du demandeur sera toujours incomplet. Des constats plutôt pessimistes laissaient entendre que les institutions sclérosées produisaient vaillamment des explosions narcissiques, parfois mégalomanes ou mythomanes ou perverses. Pour avoir surpris quelques remarques peu sympathiques sur les défenseurs des droits de la part des tenants de l’égalité républicaine, on se dit que la haine ordinaire et le ressentiment se trouvent désormais à portée d’oreilles et de concrétisation ; l’accompagnement pourrait avoir des accents bleu marine.
Bien sûr, en face de situations lourdes, compliquées, l’accès au logement ne relève pas de l’évidence ; elle se construit patiemment dans la durée avec ses échecs et ses réussites mais, il faut dire avec force que le chemin emprunté tourne le dos à toute recherche de solutions, le « faire comme si » n’ayant jamais la justesse du faire.
Contrôle social, gestion des crises, suivi des populations, que de nobles ambitions pour le futur ! Il ne reste qu’à trouver la bonne grille d’évaluation qui conclura, n’en doutons pas, à la bientraitance universelle et généralisée.