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Billet de blog 5 septembre 2014

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Microcosme et carnaval

Il est parfois vertigineusement et commodément utile de changer les proportions de la vie sociale, ça ne mangera pas de pain en imagination.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est parfois vertigineusement et commodément utile de changer les proportions de la vie sociale, ça ne mangera pas de pain en imagination.

Imaginons donc le tout grand tout petit, le très fort très faible, le respectable devenu intouchable : cette opération est traditionnellement codifiée, une fois par an dans une manifestation subtile et généralement assez alcoolisée qu’on appelle le carnaval.

Inversion des rôles : le savant est un âne, le dominé, dominant, le fort ridiculisé ; la retenue de l’équilibre social rompt joyeusement sous une poussée organisée de transgression. Le masque devient réalité ; la dérision domine.

Mais la chose est sérieuse et bruler Monsieur Carnaval sera l’acte par lequel on se débarrassera des frimas et on accédera au printemps. Ce sera aussi le retour à l’ordre cyclique jusqu’à la fin de l’hiver suivant.

Il y donc dans le carnaval, une vérité qui s’autoriserait à se dévoiler l’espace d’un regard dans le miroir, que tout le monde connaitrait intimement et qui retournerait à son printemps immuable.

On n’est pas obligé d’accepter l’ordre cyclique et cynique du monde, on peut penser la révolte, agir le changement, mais les pouvoirs de tous ordres tendent à ce ralentissement : consolider l’édifice, ritualiser la transgression, faire de la plainte une farce, du cri, un jeu, de la protestation un caprice d’enfant.

 Mais de même qu’on trouve sur nos étals des fraises en automne, des cerises en hiver, des mangues en Sibérie, le carnaval tend à se proposer au quotidien, la farce est sous nos yeux, les paroles, les rôles et les places se parent du grotesque et du ridicule, rien ne vient siffler la fin de la partie. Le système est atteint d’une maladie fatale, un moment où le contenu s’est vidé et qu’il ne reste qu’un jeu dérisoire sur la forme du contenant, l’instant ou le costume et le décor prennent le pas sur l’intrigue. Poussée à ce paroxysme, la tragédie s’effiloche et les pauvres histrions, qui incarnent la puissance et de gloire, se déchirent devant des croissants, des feuilles d’impôts, des petites dissimulations mesquines, des dépenses de bourgeois frustrés.

Nos élites sont devenues carnavalesques, pitoyables. Tout en se regardant fiévreusement leur nombril, elles agissent comme des insectes devant un lampadaire, brulés par la lumière, mais elles conservent cette arrogance du supérieur quand elles donnent à voir leur néant.

Il n’y a plus de miroir, mais l’écran est là, gigantesque ou se reflète du bruit, rien d’autre ; que du bruit…..

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.