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Billet de blog 6 avril 2013

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Parole politique, éthique militante (rhétorique du Front de Gauche).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La question n’est pas nouvelle et illumine aujourd’hui : l’éthique a-t-elle un rôle à tenir dans la production du discours politique ? Peut on s’adresser aux gens sans limite, en plein mensonge, les gratter dans le sens du poil, justifier la fin par n’importe quel moyen? En gros, le discours politique est il autre chose qu’un habillage ? Et,  en contrepoint, comment débattre, partager des idées, arriver à convaincre sans prendre notre interlocuteur pour l’imbécile de service ? Parler en politique, lorsqu’on se revendique de gauche, impose un cadre, des valeurs et reconnait à l’autre des pouvoirs et des compétences (y compris celle du désaccord). Je discrimine  ici  la parole  de la gauche dans la mesure où elle interroge pouvoir, allégeance aux hiérarchies, aux traditions, dénonce les  aliénations, les  exploitations et n’est donc pas symétrique à la parole de la droite. La gauche (pour faire très général) porte, à cet endroit,  une responsabilité très particulière.

 Il est clair que, dans le système médiatique particulièrement volatile du présent, cette exigence est à la fois un honneur et une faiblesse. Compte tenu de l’immense standardisation d’un bruit de fond, liée à la forme journalistique, la difficulté est immense.

Jean Luc Mélenchon est un beau tribun. Comme adhérent du Parti de Gauche, c'est-à-dire comme convaincu, l’entendre et le regarder sont  un réel plaisir : les deux vont ensemble. Quand je l’entends seulement, il manque le geste de la respiration, la suspension de la chute. Je trouve juste la cohérence de son verbe : engagés, les mots veulent dire quelque chose. Mais, cet engagement a, en tout cas, son ombre : La mise en danger et l’exposition frontale. Et la relative fascination du militant est inversement proportionnelle à la dose d’exaspération que le Front de Gauche suscite chez ses détracteurs

C’est précisément, cette honnêteté qui porte le mieux, la contradiction que nous avons à dépasser ou à analyser : Jean Luc parle souvent d’éducation populaire, décrit avec précision la bataille politique avec des visées, des stratégies, des avancées et des reculs. Nous savons que nous avançons pas à pas, que le verbe n’est pas totalement désintéressé, qu’il vise un accomplissement ou en tout cas, la mise en œuvre d’une controverse, le déclenchement d’une alerte. De ce côté du miroir, le discours est une arme à multiples facettes qui débusque  les  dissymétries,  les aliénations. C’est un lieu de décryptage et de mise en lumière

De l’autre côté du miroir,  l’aspiration républicaine, l’humain d’abord mobilisent  l’énergie d’une incroyable empathie ce que je perçois comme une authenticité assourdissante ; dans ces moments, c’est plutôt, le souffle d’une communauté rassemblée qui se propose, un émotionnel offert, simplement beau. Ici, c’est un moment de partage et de rassemblement (et je suis sur qu’il s’agit d’une parole inaudible pour une partie des habitants de ce pays)

Tout le monde aura compris que nous sommes à dix mille lieux de visée de communication, de manipulation ce qui n’exclut bien sur pas la malice et la ruse, la différence se trouvant dans la question des limites : on parle souvent de vérité  en politique, mieux vaudrait considérer le mensonge c'est-à-dire le choix préalable d’instrumentalisation et de manipulation du citoyen. A cet endroit, je suis fier d’appartenir au PG ou on peut aussi s’engueuler entre égaux (nuance déterminante)

Comment donc louvoyer entre authenticité d’une parole rassembleuse et calcul stratégique « honnête » (sans faire d’enfants dans le dos) ? Cette question se complique dans le contexte d’un système médiatique, majoritairement dévolu à la conservation du système existant dont les ressorts sont le continu (la saturation) et le spectacle (la théâtralisation) qui font que les faits divers  sont infiniment plus présentables que les grèves des travailleurs ou le silence des exclus. Je ne suis pas sur que nous ne soyons pas siphonné par ce système lorsque Jean Luc Mélenchon est amené à réagir devant les médias : le plus souvent, il apporte une parole féconde, mais il lui arrive également de se planter quand la colère le réduit à la fonction de la grande gueule de service

Paradoxalement, je trouve que cette question est secondaire : d’abord parce que si nous aspirons à changer le système y compris médiatique, je pense que nous n’arriverons pas à changer le style  notre porte parole. Ensuite, parce que le livre que nous voulons construire n’est pas écrit, qu’il ne sera pas une télé réalité : il nous faut d’autres auteurs,  la conception profonde de notre proposition se fondant  sur l’échange, la confrontation. Et c’est la difficulté de notre propos dans le contexte actuel, de viser l’engagement des citoyens, leur participation dans un univers  où   les gens ont la trouille et ou leur cerveau disponible est accaparé par la consommation.

Il me semble donc que les contradictions, les difficultés que nous avons à nous faire entendre expriment  la « morale » de notre projet. Leurs  dépassements ne viendront  pas de l’espace médiatique : ils viendront  de notre capacité collective à faire exister Jean Luc Mélenchon comme notre porte parole et pas notre idole : l’enjeu de personnalisation est précisément un piège que le système nous tend, en nous réduisant à une psychologie et à des états d’âme, à un immédiat éternellement recyclable.

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