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Billet de blog 7 février 2013

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Toxico, le retour…. l’addiction au salon,

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les invraisemblables délires des hommes politiques de droite et d’extrême droite quant à l’expérimentation d’une salle de consommation, peu hasardeusement appelée  de leur part salle de shoot, montrent à quel point une figure fantôme hante les esprits et à quel point les politiques publiques sur les addictions peinent à trouver continuité et consensus dans le corps social.

On décernera ici la palme du sordide à Gilbert Collard, député du Bleu Marine dont l’audience monte en France au nom d’une banalisation de sa posture : il a suggéré que puissent être ouvertes des salles de viol. Nous gouterons, non son inquiétude à la normalité de ce propos en notant quand même que, sur ce sujet, ce type de comparaisons est en capacité de faire mouche : malgré tout le chemin parcouru, de lourds préjugés demeurent, font foi à défaut de faire loi.

Divers courants contradictoires ont traversé depuis de longues années l’accompagnement de personnes en difficulté avec un produit : la loi de 1970 (la création du dispositif de soin, l’injonction thérapeutique) la réduction des risques dans le milieu des années 1990 (l’échange de seringues, les « boutiques », les politiques publiques vers les années 2000 (la notion d’addiction, les niveaux de prévention, une remise en cause de la rupture entre drogues licites et illicites, la poly consommation)  

Toutes ont cherché, à partir des nécessités de leurs époques à apporter une réponse relativement complète : toutes mobilisaient des figures particulières : le délinquant , le malade , le citoyen mais force est de constater, au niveau des mentalités, que ces figures se sont empilées davantage qu’elles ne se sont homogénéisés : dans l’esprit du public, les représentations poussent à considérer que, si , intellectuellement, l’alcool est une drogue, pratiquement, le fumeur de tabac n’est pas le fumeur de crack.

Il faut se rappeler ici que le secteur « addiction » a longtemps protesté et milité contre le régime d’exception qui était réservé aux «  toxicomanes » : dispositions particulières, mesures répressives ; un des enjeux étaient la « banalisation »contre la « stigmatisation » : ces professionnels peuvent se féliciter d’une certaine réussite et même d’une réussite certaine  : au niveau institutionnel, la prise en compte d’une personne addict rentre le plus souvent  dans des procédures de droit commun.

L’expérimentation d’une salle de shoot procède de cette logique de cohérence de soin : pragmatiquement, si l’on pose qu’un usager dépendant ne peut s’empêcher de consommer il faut répondre au plus près de ses difficultés et de ses besoins. Cliniquement, rien d’aberrant, bien d’autes secteurs sont impliqués dans « le faire avec », dans l’accompagnement et la maintenance

J’évoquais la question d’un fantôme et je pense que ce fantôme est en relation avec le sensible et le politique : une des figures de la banalisation est l’addiction qui vient poser comme  paradigme un système neurobiologique : un système de récompense est posé comme la composante de tous les individus et dont le dysfonctionnement, selon son niveau, ferait  le consommateur simple, le consommateur à problème et le dépendant. Cette représentation n’est évidemment pas le fruit du hasard : elle est propre sur elle, relativement aseptique en cohérence avec les effets recherchés. Ce petit côté gentil, médical, ascensionnel, comportemental vient se heurter à une réalité sociale moins gentillette

Aujourd’hui, une crise sociétale profonde plonge de nombreuses personnes dans l’insécurité et la précarité : l’affirmation de tenir, de ne pas sombrer conditionne des attitudes agressives dans un monde de concurrence généralisée et le « toxico » redevient une figure de choix (l’alcoolo sans doute aussi) : l’épouvantable contre exemple à ne pas suivre (le faible) et le profiteur (celui qui bénéficie d’un régime paradoxalement particulier) puisqu’il est accompagné jusque dans ces « turpitudes » (le shoot)alors que le commun des mortels verrait ses protections explosés . Quand la réalité échappe, l’imaginaire au moins ou la superstition au mieux  triomphe, le toxicomane a de beaux jours devant lui, une nouvelle version de la peste s’ouvre devant nous.

Il faut le redire en conclusion, les salles de consommation accompagnée sont un outil de solidarité d’accompagnement et de soin  pour des personnes en très grande difficulté qui impliquent des pratiques professionnelles fines et complexes. En aucun cas, elles ne sont l’enfer décrit et promis. Elles sont une proposition particulièrement modeste dans un univers  plutôt méchant.

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