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Billet de blog 7 février 2015

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Du ressort universel de l’ennemi pour éclairer sa gloire et sa force

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nos vies sont pétries dans des organisations sociales sophistiquées. On y trouve le sens de toutes les hiérarchies, de toutes les préférences. A cet endroit, comme une ligne de partage de la liberté, nos comportements tendent à couler du côté du conditionnement ou du vouloir. Une énigme surgit alors : comment dans la complexité de nos sociétés mâtinée de raison prétentieuse émergent  les figures incontestables et massives de la nécessité ? Le pauvre en est le carburant, l’ennemi, le moteur. L’ombre du barbare, pillant, violant, tuant sans règles hante les nuits de nos pires cauchemars.

L’obsession du pareil au même traverse nos sociétés comme une angoisse de mort. Cloué sur la planche des inégalités, on a peu de choix sinon de devenir le planteur de clous. Assignés à une rationalité infaillible et à un champ de compétition permanent, grimé d’impartialité, nous faisons semblant et  nos appartenances collectives deviennent couteuses, lourdes à porter. On ne  devrait alors plus appartenir à personne pour prendre la tête dès le  premier virage. Il faut d’urgence faire le deuil de nos histoires, de nos riches et tragiques  imperfections, de nos bricolages existentiels et surement pas au nom de la liberté.

Malgré ses extraordinaires ramifications consuméristes, le terrain est remarquablement plat et désert ; la victoire manque singulièrement  de piquant et de panache ;  il n’y qu’une façon univoque de trouver  sa place et tenter de la conserver, toujours sous la menace d’un concurrent. Le concurrent a fait disparaitre l’intrus. Le concurrent est un compétiteur individuel, l’intrus, une menace diffuse et collective. Mais l’intrus a besoin d’exister malgré son total manque d’efficience et d’efficacité, la vie crée l’intrus.

Présentées  comme une survivance des cavernes destinées à fausser l’équilibre du système, nos particularités s’exacerbent sous la pression de trois acides douteux ;

  • La défaite individuelle représente le vecteur de disqualification sociale ; entre les jeunes cons et les vieux schnoks, la fenêtre de plénitude sociale ne tend qu’à durer que la jouissance de  quelques instants ; Un projet de vie devient  une incongruité, la délectation de la flexibilité attire les ouragans puisque ça  doit tenir et ne pas casser.
  • La raréfaction des ressources, la limitation des possibles posent avec acuité la question du manque. Si ce n’est pas moi qui bouffe les pissenlits par la racine, ce sera un autre qui fera bombance.
  • Les identités collectives étant présentées comme une pièce muséographique, il faut les ignorer ou les surjouer pour en faire des armes de résistances.

Alors, bien sûr, dans une telle violence latente, la guerre redevient la solution. N’être plus retenu par les précautions éthiques au nom de la nécessité, reprendre gout à la domination, permettent de  s’affirmer comme le propriétaire du frigo  possédant la seule clef qui l’ouvre ; l’heure n’est plus à la pensée et à la rencontre.  L’idée diffuse de l’ennemi justifie l’arbitraire, autorise les dérives teigneuses comme preuve de son bon droit et de sa puissance. Tricher, employer des armes interdites décorent le barbare, le rendent même plutôt moderne et adapté.

La réalité des exclusions et les peurs contiguës tirent le bateau, non pas vers un havre de paix et d’amour mais vers un affrontement encore plus radical, appelant l’enjeu de mort.

Qu’est ce qui permet de résister le mieux au vide, à la dilution et à la mort interne, c’est bien sur la présence d’un ennemi. Jamais on n’aura agité les valeurs avec autant de frénésie. La menace devient l’argument d’affirmation de sa propre consistance, l’ennemi sert la soupe et sert la cause. On assiste confondu à une parfaite symétrie dans la revendication de la vérité entre un marché obscène et un obscurantisme indécent. Choisir d’urgence son camp est la première des sommations avant le feu.

Les fables ont donc un bel avenir. Les armées racontent des épopées mensongères, réécrites. J’appartenais donc à une très  belle chose et je ne m’en étais même pas rendu compte qui me donnait habit brillants, origine certifiée.

On retrouve dans la mythologie grecque, (on n’en sort pas), des traces précieuses ou l’étranger était prudemment accueilli avec attention au moyen de mets exquis, de bains suaves. Bien sûr, cette entrée en matière n’était pas dénuée d’une forme de précaution. L’attention et le partage font lien et permettent de désamorcer l’intrus. Mais, cette époque pensait l’intrusion et la manière honorable  de l’aplanir.

Pour retrouver l’honneur, sans singer le passé, il faut nous passer d’ennemi et retrouver l’intrus à nos portes.  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.