Il ya une étrangeté moderne à l’excrément : les enfants jouaient auparavant de sa consistance familière, de son rapport à l’aliment par le célèbre caca boudin. Plus civilisés et ayant acquis la propreté, les adultes avaient relégué l’excrément à la place du reliquat honteux, indigne, puant : hétron, fumier. Il ne faisait pas bon manger sa merde sous peine d’être désigné comme un étant proche de l’inhumanité. Et le monde suivait son chemin, les vaches étaient bien gardées : on mangeait un noble aliment qui nous nourrissait, nous fortifiait mais le résidu devenait par sa nature même, sale, impropre et impur. Le circuit de son élimination ou de sa transformation était marqué par le sceau du secret ou de l’interdit, venant nous rappeler qu’on ne se baigne pas deux fois dans la même eau, l’engrais étant affaire d’animalité
La crise sanitaire nous met en face d’un nouveau paradoxe : Chez Ikea, on pourrait manger de la merde mais la définition même de ces lieux aseptisés au-delà du possible défraie l’imagination : comment pourrait-on dans ces magasins sans odeur et sans saveur être conduit à de telles extrémités. C’est donc par un autre postulat qu’on peut se résoudre à l’admettre, la matière fécale est totalement anonyme et indétectable. Les frontières entre l’aliment et l’excrément sont en train de se brouiller par la dilution d’une identité propre.
Je repense au film Soleil Vert mais je ne peux trouver dans cette œuvre toutes les réponses : la dramaturgie, la dénonciation sociale, la violence montraient jusqu’à l’envie, les transgressions possibles autour de la mort (un moment programmable par la société), l’alimentation (un cannibalisme aseptisé dans une stricte fonction métabolique), la transmission (un circuit qui tourne en boucle)
Je pense que ces affaires nous mettent en face de la question du « ce qui reste »: Est il insupportable à la société actuelle qu’il y ait des restes, non rentables économiquement ? Faut-il s’engager dans un recyclage immédiat pour produire du profit ? La merde est elle devenue un investissement ?
A force de ne plus reconnaitre les restes et les rebuts, à force de ne leur reconnaitre aucune identité propre, à force de n’accepter qu’un rythme de production taylorisé, je n’arrive plus à cerner ce qu’il restera de nous.