Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

240 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 janvier 2015

Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

Nos évidences fragiles face au massacre.

Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’effroyable tuerie de Charlie Hebdo, ces 12  morts injustes et ces nombreux blessés viennent  dévoiler brutalement la fragilité de nos implicites, ces silencieux, ces discrets  qui fondent le lien social,  montrent les amplitudes de la liberté d’expression, interrogent la capacité d’autonomie. A ce point, on est projeté sur le fil entre deux vertiges. Quelque part, on est contraint de choisir un camp et bousculer ses renoncements et ses faiblesses. Ou sommes-nous au milieu de la barbarie ? Ou sommes-nous dans nos têtes ?

Dans l’asepsie de nos environnements balisés, le poids de ces valeurs partagés, de ces habitudes, de ces évidences ne disant pas leur nom  montrent tous les signes de leur faiblesse constitutive et la nécessité de se les réapproprier.   

Même dans l’univers le plus policé (et peut être surtout dans celui-là), aucun pouvoir ne peut empêcher des assassins de disposer d’un laps de temps amplement suffisant pour liquider, exterminer. Aucune société n’est en mesure de mettre des forces de vigilance en nombre suffisant pour contrecarrer les passages à l’acte paroxystique. Le vivre ensemble, l’éducation, l’attention, la confiance, le conflit maitrisé se proposent comme  autant d’outils de bricolage qui disent en permanence leur limitation, leur insuffisance et leurs pannes, leur besoin d’entretien. Nous avons construit une société qui accepte certaines pages blanches, des malentendus, des incompréhensions, des silences, des incertitudes, de l’autre malgré tout possible ce qui n’empêche pas la force des convictions et la justesse des combats.

Bien sûr, au regard de la barbarie ambiante et des milliers de morts journaliers sur les  autres rivages  d’incendie,  on fait un peu petit joueur mais, c’est profondément parce que les exécutés de Charlie Hebdo font corps avec nous, nous appartiennent jusqu’au plus profond dans cette posture de dérision sérieuse, de questionnement, de protestation excessivement  pudique  que la disparition d’un seul devient  intolérable.

On est toujours en retard de plusieurs balles par rapport à l’imbécilité totalitaire, celle qui a fait le choix de se cacher derrière la vérité absolue, le précepte figé, l’avenir confisqué. Il y a toujours un fatal décalage de concentration. Le tueur en s’identifiant en Dieu, ne combat pas dans la même catégorie ; s’il arrive au bas de l’immeuble, il massacre en toute puissance, en toute impunité. On ne peut pas se défendre empêtré dans la sidération.  Dans cette situation extrême, les armes de Charlie étaient  des pistolets à bouchon.

La rhétorique de ces tueurs est terrifiante : elle superpose millimétriquement  les mots et les actes, on fait littéralement ce qu’on dit puisque la commande est impérative. Atrophiant le langage de ses fonctions exploratoires, joueuses, relatives, apaisantes, créative elle tue et dit qu’elle tue. Leur parole est une cellule dans le couloir de la mort, une condamnation. On ne trouve pas l’ombre d’une épaisseur entre le faire et le dire.  Toute victime même innocente est coupable.

Le paradoxal martyr s’alimente du dégout qu’il suscite et conforte sa vérité sanguinaire dans l’opprobre. Résister à la tentation de la loi du talion, à la vengeance brute appellent  beaucoup d’effort spontané et de patiente solidarité collective. Ensemble s’impose comme un maitre mot.

Nos équipements de sécurité nous protègent dans l’avant, dans l’après, jamais pendant parce que ne pouvant pas grand-chose contre la radicalité de celui que la vie indiffère.  Cela peut recommencer, cela doit souder toujours plus. 

On ne dira jamais assez le champ de fascination communicationnelle que ces pratiques suscitent : le dire faire et le faire dire monopolisent  l’antenne et l’audience, derrière le meurtre se prépare l’attentat. Je ne sais pas comment me  défaire de cette pression obsédante mais j’aimerais résister au tocsin qui me fasse leur ressembler.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.