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Billet de blog 9 juillet 2014

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Le monde inhumain de l’application généralisée

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On n’est pas là à défendre nos anciens systèmes imparfaits, boiteux, mensongers mais on a précisément aujourd’hui très envie de défendre l’incontournable  de leurs imperfections. Il ne nous viendrait pas à l’idée de chanter les louanges des hiérarchies stupides, des arbitraires, des violences antérieures, des exploitations éhontées mais considérer que le cadre de nos vies est circonscrit aux termes avec lesquels la technocratie veut l’habiller relève d’un suicide collectif, de la course vers la falaise du troupeau de moutons.

Que nous dit-on ? Que le doute n’est pas permis, que tout est dit,  qu’il faut s’adapter de la maladie mentale à l’art, en passant par la santé, le travail social, le quotidien. Rien ne se propose à l’inattendu de la rencontre, au non encore écrit, à la surprise, au jeu, au malentendu, au rapport de forces et au conflit. Un monde sans erreur au zéro défaut

Le cri, la souffrance et la révolte sont en train de devenir des empêcheurs du  système de tourner en rond, des irrecevables de l’évaluation, des inaudibles de la rationalité prédéfinie.

De toutes les pièces de la maison commune, on attend les claviers cocher des cases, rabâcher des rapports dont la trame invariable vient dire le hideux du singulier et construit les aveux sans cesse renouvelés de la confession d’anormalité. Toujours en faute, toujours en retard, toujours défaillant, toujours sur le fil, toujours en urgence, toujours en concurrence. L’autre est devenu la compilation des actes de la bonne pratique, il peut donc crever. On n’aura pas de difficulté à le remplacer bientôt par le mirage virtuel de sa perfection, par une  définition toujours plus  inatteignable  et plus étrangère à nous-mêmes ce qui nous rendra de ce fait, toujours plus en faute, toujours plus en retard, toujours plus défaillant, toujours plus sur le fil, toujours plus en urgence, toujours plus en concurrence.

Outre la relégation en  tacherons improductifs dont la productivité nous affuble,  nous sommes en train de muter en agent d’une application généralisée qui nous dicte nos possibilités, nos réponses. Cette contrainte traverse les organigrammes de la tête au pied, générant de la souffrance, de l’incompétence et de l’humiliation. Comment exister quand on nous demande l’inexistant ?

Je ne rêve pas ici d’une indépendance illusoire ; bien sûr que nous sommes tous pris dans le jeu existentiel de nos dépendances mais  la version  technocratique nous chosifie, ne nous permet  guère de mouvements d’émancipation, de révolte. Non, la version technocratique, la développeuse d’applications n’a pas à se soucier des questions d’identité, de mémoire et de dignité, elle applique et elle s’applique.

Les conditions de son fonctionnement s’appuient fort logiquement sur la crise permanente ; nous mettre en vigilance, en compétition, en obligation de répondre aux stimuli, en même temps qu’un système communicationnel vient nous faire prendre la mesure de la nécessité de nos efforts et nous fait miroiter  la récompense du jardin d’Eden.

La minable conférence sociale qui vient de s’achever est une parfaite illustration de cet enfer. Participent à ce gouter, ceux qui ont déjà la cuillère, la tasse et le couteau. La conférence baisse les impôts pour la classe moyenne (c’est moins que la grande classe), donne de l’argent aux employeurs pour faire travailler la jeunesse (l’Etat, je vous dis ce qu’il est intrusif), démembre les services publics.(pour vivre heureux , vivons cachés) 

Appliquer, toujours mieux appliquer l’inapplicable, justifier, toujours plus justifier l’injustifiable, encore juste un petit effort et nous n’aurons même plus besoin de nous reconnaître.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.