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Billet de blog 10 mai 2013

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De la mort comme chair à média

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes tous promis à une mort certaine qui se traduit en espérance de vie. La statistique vient définir une durée moyenne; mais derrière  le froid calcul, perce l’idée d’une vie remplie dans une certaine durée nécessaire.

A ce point précis, la génétique rejoindrait un quasi spirituel : l’individu aurait fini sa vie comme on termine un livre. Cette dernière page sereine fait rêver ; s’éteindre, toute chose accomplie. La réalité nous renvoie à des histoires moins tranquilles, moins douces, notamment dans le grand âge et la maladie

L’accident, la catastrophe, la mort groupale, violente prématurée viennent  bousculer l’édifice du bien écrit, du proprement pensé : ces morts partout dans la violence du monde dont l’énorme nombre ne permet pas de reconnaitre et de compter chacun ; reconnaitre un chacun comme homme et lui rendre hommage de sa vie. Bangladesh, mille personnes sous les décombres du profit, mille histoires de vivre étouffées.

Cette capacité à nous sentir différemment touchés face à chacune des catastrophes qu’elles s’appellent famine, tsunami, tremblement de terre interroge: : certaines vont directement dans la corbeille de la fatalité ; les autres, davantage liées aux errements humains nous atteignent de façon inégale; on paie son écot aux cataclysmes,  on se lasse des guerres durables et sans vainqueur mais d’autres évènements   nous percutent. Ces travailleuses et travailleurs du textile  font irruption dans notre histoire, se lient  avec nous dans un prodigieux phénomène de révélation tragique ; c’était donc ça nos sociétés de consommation. A l’autre bout de l’égout de la pollution, il y a l’indignité de l’exploitation. Faites place nette, nettoyez les décombres, trouvez  moins cher ailleurs.

Si le nombre fait l’émotion, la jeunesse fauchée submerge : un jeune de dix sept ans, abattu de vingt sept balles. La presse a fait son choix : il s’agit d’un jeune de dix sept ans, et pas d’une affreuse racaille, ou d’un trafiquant. Pour une fois, merci la presse. Je ressens quelque chose de profondément absurde dans cette mort, se faire descendre à dix sept ans à l’intérieur d’une espérance à 82 ans.

Les médias entretiennent avec la mort un rapport étrange : ils se délectent des morts non naturelles. Sont –ils les seuls à porter ce symptôme de morbidité ? Sans doute pas, une partie du public les attend là. Mais, c’est moins le regard lui –même qui me hérisse que son devenir. Ne rien faire de ces morts, c’est les priver de leur mort.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.