L’époque est particulièrement bavarde et tatillonne ; elle surjoue une visibilité de tripot, irradie d’une fausse transparence ; rien ne doit lui échapper. Pour l’extinction de toutes les ombres mauvaises, elle met en place les lampions clinquants de procédures, codes, déclarations, la main sur le cœur, serments de vérité. Visiblement, il y a quelque chose qui déraille complètement, car plus la lumière nous éblouit, plus nous sentons le gros mensonge, la main prise en flagrante plongée dans le pot de confiture.
Maltraitance dans une maison de retraite, corruption et détournement de fonds dans le champ politique, tout cela semble un peu éloigné, mais ces histoires partagent quelques origines communes. Les deux affirment des garanties initiales, des contrôles permanents; pourtant au fond, pour les deux, on ne se laisse croire que ce que l’on voit. Ce que l’on voit est une compilation obsessionnelle convoquant le déclaratif, le donner à voir, la roublardise du montreur d’ours. Une instance technocratique vient dire le bien du commerce relationnel et mille ânes se mettent à cocher du formulaire en célébrant les louanges du divin évaluateur, la monotone soumission n’excluant nullement la flagornerie la plus exacerbée (et Dieu sait si le terne en son jogging trop large aime ouvrir son bec quand il devient le phénix de ses lois).
L’axiome du meilleur se décline ainsi : le parfait pour le moins cher, le pire pour le discret.
Une des questions utiles à se poser pourrait être : qu’est ce que nous ne voulons plus voir ? Qu’est ce que nous ne pouvons plus voir ? Qui nous est devenu étranger ? Notre moderne et proprette cécité se donne tous les moyens légaux et illégitimes de sa bientraitance débordante, vomissante, prescrite codifiée et immanquablement produira un même insensible partout.
Le face à la dégradation, le face au trop vieux, l’identification au dégradé d’un côté, la désertion du bien commun, l’impunité de l’autre la petite société du contrôle absolu exacerbe toutes les peurs, agace toutes les transgressions. Puisqu’il n’y a que les invariants du droit de la consommation à mettre en religion et plus d’individus à respecter, les dérapages s’annoncent démesurés. C’est ici autre chose que la maline tricherie, le petit bonus, le petit bonbon qu’on mange en douce, c’est une désertion du lien, de la parole, du conflit. Et justement, ça ne mange pas de pain.