Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

240 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 juillet 2013

Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

De l’intérêt du réchauffement dans l’intrigue sociale

Pierre Avril (avatar)

Pierre Avril

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne viendrai pas ici porter une controverse sur la théorie du réchauffement climatique ; d’honorables spécialistes scrutent son évolution grâce à des machineries ultras complexes, des calculateurs dont la vitesse émerveille plus que le Space Mountain ;  il me reste un fond de dignité lâche et à part émettre un grognement d’approbation dans la déploration de la montée des eaux, je reste prudemment à l’écart d’une évaluation qui balaie modestement la planète, ses sphères, stratosphères, océans et autres microscopiques entités. Pour faire court, ça me dépasse. Le réchauffement climatique est un lourd défi de l’évolution, mais c’est plus dans sa résonnance ordinaire, vulgaire au sein du  corps social que son irruption m’interpelle comme on dit.

Le réchauffement climatique est un phénomène social global. Dans un monde en crise déstabilisé, inquiet, son évocation fait écho aux inquiétudes quant à un risque de mort, quant aux conditions de cette mort, quant à son imparable émergence rapportée à notre immanquable impuissance. Le réchauffement présente des caractéristiques curieuses devant le zinc du café du commerce. Il est d’abord paradoxal : le réchauffement peut refroidir et faire tomber de la neige à un certain point de son réchauffement. Le réchauffement fait exploser le sens et ouvre à son contraire. Il contient en lui une imprévisibilité maximale : il fait surgir des tornades et des inondations qui par leur violence balaient tout sur leur passage, mais il évoque une lente montée des eaux ; goutte après goutte, l’ilot va être submergé et le point de sa submersion est précisément situé en fonction du degré de chaleur. L’hyper méthodique côtoie l’apocalypse la plus radicale. Il est aussi un argument de la culpabilisation latente et un peu névrosante : on aurait tendance à croire qu’on y est un peu pour quelque chose, mais on ne sait pas vraiment tout en sachant un peu. C’est curieux, quand je suis coincé dans un embouteillage, j’ai le sentiment diffus d’une faute et suis pris dans l’invraisemblable incertitude de couper le moteur ou de le laisser tourner. Plus exemplaire enfin, le réchauffement est un dérèglement. L’assertion ne manque pas de piquant ; d’abord parce que, dans mon imaginaire, dérèglement est proche de déréglementation ; ensuite parce qu’elle renvoie à une vieille superstition éternelle : le froid conserve, le chaud cuit. Ici, plus que cuire, le chaud dérègle. Le souvenir ému de certaines nuits d’été, un peu imbibé, j’en conviens, en constitue une preuve digne de l’exactitude des sciences dures.

Ainsi, le réchauffement serait-il à nominer comme première métaphore du présent, un présent inquiet, ayant perdu toute prise sur sa maitrise. Il en va donc du réchauffement comme de la cuisson des œufs durs : tout dépend ce qu’on y met et du  temps qu’on y consent. Face à son évolution, on peut courber l’échine, se mortifier, creuser son abri anti réchauffement (évitons la cave, la proximité des bouteilles pourrait avoir des conséquences incomparablement plus négatives que le bénéfice recherché) ou au contraire, en faire une occasion de fête,  de lien et de résistance.

Mal appréhendé, le réchauffement peut devenir l’air de ne pas y toucher une nouvelle arme de la servitude. En tant qu’êtres du chaud et du froid, de l’hiver et de l’été, de toutes les aventures, nous avons à nous saisir des climats debout et pas rampant.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.