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Billet de blog 12 septembre 2013

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Famine du producteur, boulimie du consommateur, l’alternative se précise

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« Mais, le pur consommateur est le pur exploiteur » Walter Benjamin

Marxien, je porte en mémoire l’infamie de l’exploitation de l’ère industrielle du 19e siècle : ces armées prolétariennes brisées, cassées pour le profit du petit nombre. Non que la misère, les désastres n’existaient pas avant, mais la dimension de grande ampleur, sa rationalité implacable ont généré une redoutable singularité. L’exploitation de l’homme par l’homme quand elle est méthodique, implacable est génocidaire. Elle l’entraîne vers une condition d’objet jetable et modulable. L’argument idéologique développé à l’époque, la généralisation du progrès, l’azur de l’avenir radieux a sérieusement du plomb dans l’aile et de l’effet de serre dans la gorge

Nous avons vu passer deux siècles et le vingt et unième est un retour vers le futur. Les moindres gestes du travail se rationalisent et le fantôme de Taylor revient au galop avec pour stigmatisation supplémentaire la froideur de la machine. Le producteur est donc pris en étau entre le machinique et le moins-disant tiers-mondisé. Littéralement, le produit ne vaut plus rien, ne doit valoir plus rien. Il est pressuré, dans toutes ses composantes afin de générer un dividende, le plus juteux possible, le « deux chiffres » étant l’extase. L’idée d’un centre de production mécanisée unique pour couvrir des besoins planétaires n’est plus une utopie tant l’homme apparait un obstacle à faire du fric.

Il y a là une contradiction très moderne dans la rencontre du productif en déconfiture avec la consommation flamboyante qui a démultiplié ses marchés, ses cibles, de la petite enfance à la grande vieillesse avec deux stratégies complémentaires : le captif et l’obsolescence. Le système ne tourne que sur ses velléités d’innovation encore efficaces, il n’est besoin que de constater les nuances plus que subtiles dans le secteur du virtuel et de la communication : réseau mobile, services, présence obsédante du présent immédiat, un modèle d’addiction à la technique voit le jour : difficulté du manque, perte de contrôle, le consommateur est un addict et la stratégie est moins de le guérir que de le faire vivre avec.

Pour moi, l’entreprise Apple représente absolument la quintessence des turpitudes possibles : elle se résume à un centre de recherches et une stratégie commerciale ; elle délocalise et externalise sa production au moins-disant, exploite honteusement, échappe à l’impôt, se moque de la question de responsabilité collective, abuse de la fausse innovation.  Sur le versant consumériste, ses points de vente sont un paradis caricatural de la modernité, de la diversité, du branché, du lumineux. Ainsi, à la manière de la cour du roi Soleil, Apple est parfumé, badin, léger sur la scène, et répugnant, puant dans les coulisses.

On devient donc de plus en plus et en même temps producteur corvéable et jetable et consommateur exigeant, insatisfait. Je suis content, parce qu’à un moment, cette merde va péter. Ça ne peut pas tenir cette dichotomie entre le faire et l’usage. Réinterroger la finalité et les conditions du  produire, les aires d’échange, les manières du transport, le contenu des échanges s’imposent doucement.   Je suis inquiet aussi parce que ça peut aussi virer facho,du côté d’une totale instrumentalisation ou une totale artificialité, avec comme cerise sur le gâteau, l’autoritaire.

L’alternative ne se propose pas comme un rêve totalitaire ou idyllique : les points de résistance et de proposition se multiplient, mais la bête en face est solide, elle ne se laissera pas faire.

Je m’en rends compte, à la fin de cette écriture, je n’échappe pas à l’écueil du dénouement historique fatalement heureux. Il faut donc que je me calme et poser simplement que le choix d’homme se trouve du côté du sinon producteur, du moins de l’acteur, par la réalisation de son œuvre social avec les autres. On peut vivre sans, mais on perd en homme.

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