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Billet de blog 13 juin 2014

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Obsolescence du dictateur, rentabilité du chaos, aliénation de l’Etat

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il semble qu’un enjeu global soit en œuvre sur les territoires ou plus précisément un rapport du pouvoir aux territoires en bouleversement. Évidemment, on ne peut mettre en symétrie, les pâlichonnes réformes territoriales françaises qui visent à favoriser une meilleure circulation des marchandises, une meilleure diffusion de la concurrence avec les enjeux du reste du monde, mais, à ce stade de la réflexion, notons un empressement généralisé à imposer des recompositions territoriales, des éloignements décisionnels, des agonies institutionnelles et par voie de conséquence, une mise à nu du lien social de proximité, si tant est qu’il soit habité encore par un zeste de substance. Les oublis volontaires d’une obligation démocratique, le faire comme si ces questions ne seraient que techniques et technocratiques, le fait accompli d’un monde où la standardisation est devenue un réflexe et la soumission un comportement naturel apportent des perspectives très menaçantes.

L’indigence de l’ONU serait-elle donc, prioritairement au-delà d’un phénomène de lâcheté ou de cécité, le fait d’une instance en déliquescence à cause du remisage aux oubliettes de la notion d’État et donc, de négociation entre États ?

Ce qui frappe particulièrement, autour d’un espace libyen, irakien, syrien, c’est une mécanique nouvelle qui vise à liquider un dictateur au nom de la très médiatique idée de liberté et puis, de laisser s’installer un bordel innommable, savant mélange d’affrontements tribaux, religieux sur fond de corruption et de trafics divers avec pour conséquence, l’explosion de l’ancien État et son non-remplacement. On perd à chaque fois en route la très médiatique idée de liberté puisque les morts s’accumulent dans les ruines, les populations sont déplacées par milliers. Dans le même temps, on constate avec un effroi très mal joué en général, surjoué même, la montée en puissance de courants religieux, alternativement fondamentalistes, terroristes alors que l’Occident a déroulé un tapis rouge à cette émergence et semble s’en accommoder par les bénéfices secondaires qu’il en retire ; eh oui, la menace nous guette tous les jours, eh oui, nous sommes les champions de la démocratie, eh oui, il faut tourner sept fois la langue dans sa bouche.

Je trouve cette situation relativement inédite parce qu’au temps ancien de l’impérialisme, l’occident avait des dictateurs en réserve et semblait attacher une importance particulière à contrôler les appareils d’État. L’Amérique du Sud a payé un lourd tribut, l’Afrique aussi. Et même, si la fonction d’autocrate aux ordres existe encore, l’universalité de son modèle s’estompe. Cela a-t-il un lien avec le triomphe actuel de la sphère financière, le développement d’un capitalisme brutal qui ne s’embarrasse plus d’un rapport de forces d’État à État ?Les États ne semblent servir qu’à assurer une offre régalienne d’équipements militaires et de prestation guerrière, mais la fluidité et la réactivité des milices et agences privées remettent en cause le monopole. La privatisation aura du bon et de l’opacité en un monde où l’obscurité des affaires est un code de bonne éducation.

La modernité n’a que faire de protéger les capitales et les populations. Sa grandeur est d’assurer la bonne exploitation des gisements de matières premières. Et s’il faut ne garantir la circulation que sur une route, assurer la reproduction de quelques damnés de la terre pour l’extraction, équiper les vigiles d’un matériel de sécurité de pointe, consentir à quelques bakchichs nous aurons payé le juste prix à la main invisible, libre décomplexée qui assure notre boulimie consumériste.

Le dictateur est mort et c’est tant mieux, mais ce qui pourvoit à son remplacement est une autre forme de dictature particulièrement redoutable, parce que masquée, diluée, insaisissable. L’arrivée d’une insurrection à Bagdad, trace les points de l’axe : obscurantisme en bas, bénéfices en haut.

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