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Billet de blog 13 juillet 2013

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Fragilité du Corail

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il ne s’agit pas ici de moquer les morts, d’oublier les stigmates des blessures, mais la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge fait émerger deux réalités un peu sordides, sales même.

 La première a trait aux chaines d’information en continu qui trouvent leur plein épanouissement dans la couverture de ces catastrophes ferroviaires. La catastrophe ferroviaire constitue finalement leur modèle absolu. Deux ingrédients apparaissent ici déterminants : l’image rare de la destruction spectaculaire, inouïe qui rend la prothèse technique valétudinaire, la désorganisation qui met en scène l’incertitude, le démenti. On est frappé par l’importance, le volume incroyable d’antenne ou il ne passe finalement pas grand-chose: des « faux »  témoignages  qui apportent peu à la vérité et l’emprisonnent dans sa violence immédiate, l’émotion des autorités dont l’utilité de la présence ne saute pas aux yeux (on aurait envie de voir les sauveteurs leur dire gentiment : c’est gentil, mais y en a qui bossent).

La catastrophe est pour l’autorité dans ce type de médias, l’affirmation d’une présence, l’expression d’une compassion appuyée. Le moment est d’autant plus payant et juteux symboliquement qu’il renvoie à la fatalité, à la destinée. On aura moins vu le gouvernement se précipiter après l’incendie d’un immeuble à Lyon où quelques damnés de la terre ont trouvé la mort. La bonne Marisol Touraine n’est pas passionnée par ce type de désagrément dont la visibilité valoriserait peu le politicien ordinaire, l’assimilerait à une misère humaine scandaleuse. Au hit-parade, du retour sur investissement, nous trouvons en numéro un le phénomène naturel, l’inondation, le typhon, en numéro deux, la défaillance technique, l’aiguillage, la roue, le signal et loin derrière, le comportement humain, ses choix, ses oublis.

Ici, les symboles à agiter sont nombreux : l’insouciance de l’été, le départ en vacances, l’aléatoire des destinées, la mobilisation des administrations

Il y a derrière Brétigny le retour de la bête humaine, un monstre canalisé qui pète un plomb, une force qui sort de ses rails, de ses gonds. 2013 restera comme un cru ferroviaire, le convoi de marchandises canadien dévastant la bourgade précédant de peu, le balayage du quai, l’électrocution du 91.

La seconde réalité se structure autour de la désignation de ce train qui se nommait, sans rire, Intercités. L’intercité apparaît hélas comme une survivance de temps révolus, un archaïsme ; il n’a pas la noblesse et la modernité d’un TGV(avion à roulettes), ni la vulgarité crasse du RER ou du TER avec ses sueurs et ses mauvaises odeurs.  L’intercité est un passager clandestin qui recouvre un espace sans signification,  qui joint deux points inaudibles. Il me fait penser à un mur mitoyen en pisé, dont aucun propriétaire ne voudrait assumer l’entretien. Contraint d’emprunter presque par effraction les lignes locales, peu entretenues, il fonce comme pour se faire oublier sur un support particulièrement instable. Je ne peux qu’évoquer un souvenir personnel : l’arrivée en gare de la Part Dieu, il y a quelques années,du Lyon Bordeaux, autorail incroyable, crachant une fumée diesel polluante, exhibant sa rouille, sa peinture défaite (on n’était pas loin de l’arrivée du train en gare de La Ciotat).

Le corail est fragile, en ce monde rongé par l’évaluation du rentable, du clinquant. On vous l’avait bien dit, on savait que ça se terminerait mal. Ce tragique évènement a au moins un mérite ; il nous fait reconsidérer la folie de nos grandeurs, les exclusions symboliques et réelles de certains territoires, un paysage qui ne voudrait montrer que sa gloire et cacher ses faiblesses.

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