Ça y est, je suis enfin habitué. Jusqu’à présent, je pestais au mouvement de girouette et de désertion. Mais là, c’est bon, j’y suis, je touche à la banalité du renoncement. Je suis un citoyen normal qui considère la parole politique comme un bibelot sur la cheminée ; ça fait joli surtout quand il repose sur un napperon.
Donc, résumons, liberté, égalité, fraternité. Ah pardon, le défilé militaire pour symboliser notre force de résistance, l’expansion infinie de notre modèle démocratique, aux armes citoyens. N’oublions pas de laver le sang impur qui abreuve nos sillons pendant qu’on y est.
On a bien raison de faire les malins: à cinq millions de chômeurs, au gouffre abyssal des inégalités, à l’espionnage généralisée, à la déroute des libertés publiques, à l’assèchement des finances publiques, à l’impuissance internationale, on va se la faire plutôt modeste et mouver nos bodies à a caserne du coin en espérant que les pompiers pourront nous ramener quand on se sera fini.
Décidément, l’époque nous pousse à la paranoïa ; lorsqu’on n’arrive pas à se saisir d’une situation, lorsqu’elle se dérobe à toute logique, le complot n’est pas loin, la société secrète pointe le bout de son nez, n’est-ce pas Manuel Jaurès et François Gattaz ?
Il y a parfois aussi des hypothèses limpides, certes simplificatrices mais reposantes. 50 ans de banquets républicains, d’entre soi, de parcours d’excellence fléché ont construit dans la classe politique, une vision délirante de la réalité. C’est comme si, sous un orage remarquable, notre président demandait à ses conseillers s’il pleut et ceux-ci de répondre que non, il ne tombe que de l’eau avec des éclairs tandis que les experts à la télé débattaient sur la pertinence de l’eau qui mouille.
On a l’impression de salons d’ennui mortel ou la conformité fait le lien du troupeau : l’Elysée semble être le sanctuaire d’une paresse de la pensée, un beau fruit sans saveur (heureusement, que Dame Nature a inventé le scooter). Pour rester à jouer dans la cour des grands, il faut dire comme eux. Jacques a dit que la main invisible manquait de mobilité, Jacques a dit qu’il faut faire des efforts d’économie et de productivité, Jacques a dit qu’il fallait mettre du Reblochon dans la bouillabaisse. Et, en plus, deuxième jeu, il faut jouer au Dupond Dupont. J’ai dit que nous nous ne laisserons pas impressionner par le terrorisme. Non, mais moi, je dis que nous ne laisserons pas impressionner par le terrorisme ; j’ai dit qu’Israël avait le droit de se défendre ; non, mais moi, je dis qu’Israël a le droit de se défendre. Avec un T avec un D, ça va faire 80% d’abstentions sous peu.
Juste une petite dernière doléance pour la route: arrêtez avec cette fausse proximité, sur jouée, suffisante, terrain d’expérimentation des bons mots qu’on a répétés vingt fois, ça fatigue. Je sais, ça coute de verser des larmes de crocodiles sur les diverses catastrophes, de s’extasier sur la capacité exportatrice de l’industrie agro-alimentaire, vêtus de tenues particulièrement peu aguichantes, mais, bon, arrêtez de vendre du rêve, il est périmé.