La main sur le cœur, BFM télé et consorts de l’instantané perpétuel se drapent dans un voile de dignité et s’offusquent, déclarant la pureté de leur démarche d’information. Petit Robert sur la table, parle-moi.
Informer : donner un sens, une structure, une signification ou bien mettre au courant, avertir. On trouve également une foule de synonymes apprendre, aviser, éclaircir,
Osons cette hypothèse hardie, le dispositif d’information continue est le nid douillet des évènements paroxystiques car ces médias ont une vraie consanguinité avec les preneurs d’otages, les tireurs dans le tas avec lesquels ils partagent une certaine idée de la mise en scène. Il s’agit donc d’organiser le spectacle du sidérant, du hors du commun, du rebondissement et de l’attente. C’est cette image effrayante du monde et de l’autre qui nous est proposée à des fins d’audience et d’idéologie. En être, y être, suivre, montrer au prix d’une image de toit de bâtiment industriel, filmée en fixe durant des heures que la fumée qui s’échappe s’impose comme une preuve.
On ne dira jamais assez l’imaginaire que ce mode de communication suscite ; mobiliser l’inquiétude du rien, du latent permet une autoproduction anxiogène très économique de la part du spectateur qui peut se faire son propre film pré scénarisé. L’imprécision, la répétition, l’ennui, l’envie qu’il se passe quelque chose, que voilà une bonne soupe, dégageant de fortes marges de profit symbolique. S’invente une gymnastique du corps inerte, captivé par l’écran.
Même les images les plus réelles ne disent en vrai pas grand-chose, l’attaque du supermarché montre des policiers en action. Ils attaquent donc.
Bien sûr, le quotidien du monde est violent, les atrocités nombreuses mais le brut de pomme, l’immédiat, posés en parangon de la liberté d’informer proposent tous les éléments d’une compromission. Jamais vous n’entendrez sur ces chaines interroger la manipulation, questionner le choix des lieux d’atrocité.
Certes, on leur concédera que des informations arrivent à passer, truffées d’erreurs, d’approximations. La confrérie des experts mobilisée pour l’occasion propose en continu de restreindre les libertés publiques, désigne les responsabilités, accréditant la thèse d’une menace diffuse, permanente, contre laquelle les mesures d’exception seraient évidentes. Dans le QG de BFM, la guerre est déclarée, on active la sirène pour nous guider aux abris.
Sans rire, à un moment, j’ai pu imaginer que les massacreurs avaient leur loge dans les locaux, qu’ils étaient passés au maquillage. On a eu droit à des interviews sur le ton le plus urbain, une traque des plus spectaculaires où les preneurs d’otage ont eu le bon gout de s’installer dans des endroits propices à la bonne disposition des caméras, à la profusion des témoignages, à un suspense haletant, à l’évidence des symboles.
Ces horreurs apparaissent comme un monument dédié à l’époque : terroristes et médias se délectent d’une certaine forme d’image, s’y vautrent comme des coqs en pâte. Evidemment que les intermittents du spectacle audiovisuel ne sont pas à confondre avec les coupeurs de tête. Mais, simplement, les intérêts objectifs de leurs entreprises respectives accélèrent leur rencontre et leur besoin de charnier.