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Billet de blog 14 avril 2013

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Evasion explosive.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les flux continus d’information ont cette capacité moderne d’établir des correspondances entre des événements à priori assez éloignés les uns des autres. On peut aisément supposer que la force émotionnelle du continu, sa capacité à s’ancrer durablement dans l’imaginaire collectif forgent  des représentations qui s’impriment, ce mouvement étant renforcé par les artifices des images et des sons.

En deux coups de faits divers, vient  se proposer une dramaturgie de l’évasion : l’évasion fiscale d’un ministre, l’évasion de prison d’un détenu. Leur  concomitance ou plutôt leur légère distance chronologique permet à la seconde d’éclairer la première et d’en proposer une lecture singulière.

Plusieurs thèmes se réarticulent : l’évasion sous toutes ses formes aujourd’hui se construit autour de la violence, de la toute puissance et de l’impunité. Elle convoque le tabou d’une caste des intouchables (dangereuse à approcher)   alors qu’on l’imaginait discrète, honteuse, laborieuse.

Du côté du milieu carcéral, le séducteur Nantais que personne ne venait voir sinon la fille du geôlier est désormais bien démodé : la force d’une compassion, d’une empathie qui affirme la liberté d’aimer  peut bien se jeter à l’eau, elle ne fera que des vaguelettes. Pareillement, la grande évasion qui creuse le trou vers la lumière à coups de petites cuillers, la patience, l’énergie méthodique à être plus méthodique qu’un environnement de contrôle total ne parlent plus de réalités substantielles.  Non, la seule bonne évasion qui vaille, c’est celle qui fait péter les portes, détruit l’obstacle ; il y a quelque ironie à constater qu’à grand risque, on fait rentrer de l’explosif, dans une dimension assez anarchiste pour  détruire les portes. C’est comme s’il y avait une évidence, une nécessité à se barrer qui emporte les cadres et les huisseries. Socialement, ça fout les jetons : si les murs n’enferment pas, ça sent le gros bordel. On notera également l’ambivalence de l’évadé, présenté comme un exemple de repenti, il y a quelques temps, travaillant sans rire comme  conseiller commercial : le commerce mène à tout même à l’évasion. Cette figure multiforme fascinante est un brouilleur de frontières hors pair et magnifie à sa manière la liberté d’entreprendre. Elle dit quelque chose de profond sur la complexité de l’être humain.

Dans les dégâts collatéraux notables, il faut relever l’involontaire honte que doit endurer l’administration pénitentiaire : j’évoque ici avec sérieux la difficulté du métier de surveillant dont l’incarcération ne vaut que par l’étanchéité du lieu : détruire les murs est une négation identitaire de la surveillance, un déni du sacrifice originel. Je suis persuadé que ce fait divers met les personnels psychiquement  en danger bien au-delà du danger physique objectif.

Bizarrement, ce caractère d’excès, de violence et d’impunité présente une validité dans le champ de l’évasion fiscale : on pourrait la nommer pulsion d’évasion .Mais que dire d’une évasion dont la destination est le paradis ? Sa nécessité s’impose comme supérieure à la vérité des mots, le mensonge ne compte pas pour le menteur fiscal ; il  est une composante du décor et des costumes de  l’évasion et vient nous dire : si vous croyez que je m’évade ? Non, je fuis.

D’une certaine manière, notre cher  Cahuzac est devenu un évadé ou un fugitif, selon : il ne sait apparemment  littéralement plus ou se mettre et plus ou aller. Mais que fait la police ? Que fait la police pour éviter l’hémorragie de son évasion ? J’ai comme l’impression qu’on ne sait pas quoi faire de lui. Cahuzac n’a pas de chance (je ne le plains pas) car il  pèse, il importe aujourd’hui pour son errance, pour son évasion. Qui rattrapera notre ex ministre du Budget ? On est également frappé par son caractère multiforme, brouilleur de frontières, médecin mais  pas trop, ministre mais trop, victime mais un peu, escroc mais beaucoup.

On ne comprend finalement jamais l’évasion, si on ne l’attrape pas comme un voyage entre un avant et un après, le luxe et le confort des classes dominantes étant de pouvoir s’inventer des évasions symboliquement inacceptables et acceptés parce que le riche est finalement bien con : il confond paradis et prison et ça va bientôt lui péter à la gueule. On dira que prendre ses désirs pour la réalité est une pathologie bien peu exaltante. L’évasion ne permet pas d’échapper à tout.

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