L’unité est un rêve ou un cauchemar ou les deux.
D’abord pour chacun à l’intérieur de nous ; ces moments où le corps dit non à la tête et l’inverse ; ces moments ou les organes se mettent à prendre leur liberté avec la bonne santé ; ces moments où ce que l’on fait n’a aucune familiarité avec ce que l’on dit. L’unité renvoie soit à une tentative de maitrise (j’assure un maximum, pas un poil qui dépasse, pas un point noir qui résiste), soit à une bonne fraternité conviviale (vivre en bonne intelligence avec soi-même.)
On n’aura aucun mal à extrapoler vers le collectif, l’unité du collectif qui tend à sa propre maitrise, l’unité du collectif qui vise à vivre en bonne intelligence avec lui-même.
Attrapée comme une utopie, l’unité s’autorise quelques largesses avec les contenus. Elle se revendique, s’expose dans la simplicité d’un slogan sans chercher vraiment à expliciter ses ramifications (au fait, pourquoi on se ressemble ?). Le consensus d’abord, ce moment un peu opaque, qui illumine la façade et l’apparence et floute l’intérieur et ses couloirs de service.
On aimerait qu’elle soit l’état, la règle, l’évidence mais on sait que ce n’est pas vrai. On est pris dans des appartenances, des affrontements, des contradictions qui la malmènent et parfois, on n’en a pas très envie, notamment dans les affres de la vie familiale, de ses compositions, ses recompositions et ses conflits de voisinage, ses murs mitoyens.
Dès lors, il est plus honnête et plus fécond que dire qu’on tend, qu’on aimerait l’unité mais pas toujours, que le troupeau de moutons n’est pas forcément une perspective satisfaisante, que la colère nous envahit, qu’on s’en fout ou qu’on est atteint au cœur, aux tripes, qu’on a du travail à trouver et les enfants à chercher à l’école.
Le risque de l’unité, c’est précisément ses omissions, ses mensonges et ses restrictions, un mode de conformité utile qui se revendique des valeurs mais qui les travestit.
Attrapée comme un cadre et pas comme un slogan, ça s’arrange un peu ; ça parle du droit et de la capacité à vivre ensemble ; ça dit moins la vérité contre le mensonge ; ça ouvre à l’autre ; ça recrute moins du côté de l’armée de croisés contre les infidèles. Quelque part, c’est moins feignant, moins sidéré.
Reconnaitre l’unité dans la peur est un premier pas, on se regroupe, c’est nous, même pas peur. Mais on ne tiendra pas longtemps en décollant la moquette des principes du sol inégal des réalités.
Les dessinateurs sont des héros, l’Etat nous protège, chacun est clair avec la liberté d’expression, dieu que la guerre est jolie et que ce rêve est beau quand il se filme comme un plan large avec beaucoup de profondeur de champ.