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Billet de blog 15 février 2013

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tu as mangé du cheval

En ces jours de sécurité sanitaire,  que devient la pertinence sémantique de la célèbre expression « ma parole, tu as mangé du cheval » ?Dans ma jeunesse, elle rendait compte d’un certain monde animiste encore présent, symboliquement cannibale

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En ces jours de sécurité sanitaire,  que devient la pertinence sémantique de la célèbre expression « ma parole, tu as mangé du cheval » ?

Dans ma jeunesse, elle rendait compte d’un certain monde animiste encore présent, symboliquement cannibale (prendre à l’autre de ces forces, ces qualités): le cheval était fort et donc  il donnait de la force au point que nous sont restés ses remèdes. Il était au champ, il tirait les charrues et les diligences : il était trivialement couillu (Bobby Lapointe) et il faut relire le célèbre passage des Misérables pour observer qu’il lui était interdit de plier les pattes.

Force est aujourd’hui de constater que le cheval n’est plus un ressort animiste : supplanté d’abord la friandise, « ma parole, tu as mangé du Topset » puis définitivement terrassé par la substance psychoactive : « t’es trop speed » (ça devient d’ailleurs un problème sanitaire de trouver du speed dans un cheval)

Que devient donc notre cheval : un objet esthétique, c’est à dire une métaphore du sensible, de nos manques, de la fluidité et de la liberté. Il est le rêve du pari et du tiercé gagnant.

Que reste-il au vrai cheval sinon de se prendre pour un bœuf ? Et je sens que comme avec la grenouille, ça va pas bien se terminer.

Blagounette à part, je me rappelle qu’une de mes amis me relatait (ce n’est pas d’hier) qu’un de ses oncles exerçait la profession de boucher. On était dans les années 1950, l’organisation sanitaire n’en était même pas à ses balbutiements et ce boucher était amené à abattre des bêtes.

Mon amie décrivait avec précision la concentration, la mobilisation psychique de son oncle, les jours où il devait tuer : ce n’était pas un jour comme un autre. Il se préparait à vivre un moment fort, ou la banalité et l’anodin n’avaient pas leur place.

Comme je ne suis pas tout à fait devenu un vieux con, je ne me désole pas de la facilité avec laquelle nous nous nourrissons, de la distance que nous avons pris par rapport aux famines mais je m’inquiète du cela va de soi, de la stricte réponse aux besoins de notre tube digestif : manger aujourd’hui, ce n’est  qu’entretenir un rapport pacifié avec notre digestion. Notre tendance nombrilique est renforcée par une fixation sur la  qualité de notre transit intestinal. Et aujourd’hui entre constipation et colique, l’effort à fournir est considérable.

Le monde qui nous entoure ne nous intéresse plus, les composantes vivantes qui constituent notre alimentation n’appellent plus notre regard et notre respect, n’invitent plus au partage: ce sont des produits certifiés sains par les autorités sanitaires, mangeables donc, sans histoire.

Mais, nous en payons le prix : si nous ne mangeons pas ce qu’on nous dit que nous mangeons, sommes  nous vraiment ce que nous sommes? Je nous laisse à cette angoisse  qui n’est plus intellectuellement existentielle mais marquée par le sceau de l’immédiat et de l’instant.

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