L’ennemi du repos dominical aura toujours tendance à le présenter comme une habitude archaïque. Il mobilisera alors deux jokers majeurs : le caractère religieux et non laïc de l’habitude dont on dit que son fondateur se reposa, content de son œuvre, le caractère familial dont l’évolution rend obsolète la réunion en fin de semaine au nom de l’isolement ou de la recomposition. Se réunir tout seul ou se réunir à quatre endroits en même temps ferait vite pouffer de rire. Il ajoutera que, compte tenu de la pénurie du travail, faute de blé, on mange de l’avoine.
Ayant gagné la course de la modernité, notre ennemi pourra regarder les autres travailler avec le sentiment d’avoir embrouillé deux données antinomiques : la nécessité et le choix.
Car, en effet, se situe là, le cœur du problème : être positionné comme un libéral contrarié ou comme un exploité obligé change légèrement la donne et nous permet, en premier lieu, d’éviter la stigmatisation de catégories plutôt jeunes, étudiants mais pas que, qui se trouvent dans la nécessité étriquée du travail généralement partiel. Le libéralisme a bien travaillé ; la fragilisation, la précarisation aimantent les jeunes chômeurs vers des boulots segmentés de centre commercial et de fastfood. Ont-ils d’autre choix ? Existe-t-il beaucoup d’autres moyens de survivre et d’obtenir un petit bout de dignité de reconnaissance sociale ? Il me semble que l’action politique vise à cet endroit à casser la spirale des nécessités idéologiquement construites et ouvrir d’autres possibles. Situer le débat dans le changement des nécessités sans agonir de mépris les nécessiteux. A travers, une affirmation de droits et de protection, il n’est pas impossible de gagner sur ce terrain.
Pour le reste, pour contrarier le libéral, il me semble que l’interdiction du travail dominical relève d’une décision politique et d’un choix de société. Fait social insidieux, la consommation du dimanche est un mode d’expression de l’ennui dominical qui trouve son apaisement dans la fréquentation d’espaces aseptisés, peuplés, sans questionnement, attendus. L’achat y représente le vaccin contre la gamberge et la dépression par la déambulation tranquille à l’intérieur de parcours totalement balisés. Circonstance aggravante, on peut la pratiquer en famille.
Refuser ce temps commercial sans interruption et sans respiration , défendre un espace sacralisé pour échapper à l’emprise des conditionnements mercantiles, accepter l’incertitude et l’ennui, oser l’élaboration dans la réflexion, vivre d’autres intérêts que la rentabilité, voilà ce qui me rend un ennemi du travail du dimanche qui est l’enjeu de bien autre chose car cette gratuité a un prix politique.
C’est l’implication dans des engagements, solidaires ou collectifs qui fait souvent la différence avec un jubilatoire droit à la paresse (comme l’herbe, la matinée est grasse). Ce schéma idéalisé présuppose un état de sécurité et bien-être minimum. Taper dans un ballon, se promener en forêt, soutenir hystériquement ses enfants au bord d’un terrain de sport, boire l’apéro, couper le saucisson, lire un bouquin, se faire des petits et des gros calins autant de choses qui s’appuient sur de l’envie, de la joie, du lien.
Je m’associe à ma manière au combat d'opposition au travail dominical tout en refusant les arrière-pensées religieuses ou normativo-moralisatrices sur le plan familial. Le dimanche est la cristallisation d’un combat plus vaste que lui. S’il s’agit d’affirmer ma capacité de liberté d’être social, il me trouvera toujours à ses côtés et ce dimanche n’y suffira pas.