Il y a quelques jours, le Trocadéro devint, l’espace d’une soirée, un trop-plein, prétexte à crie d’orfraie pour des élus et des médias.
Il s’agissait de fêter un titre de foot, mais bizarrement, dans ce que je vis, le spectacle oscilla entre soirée privée et carnaval.
Le champion est chanceux : par sa réussite, il échappe à la crise, à la contingence. Sa voiture vrombit au démarrage ; on ne lui demande rien de vrai sinon de jouer ; qu’il dépasse les limitations, qu’il se tape des mineures, qu’il fasse des caprices, on oublie vite : il réunit l’avantage du héros qu’on regarde et qu’on laisse tranquille hors des codes sociaux habituels. On imagine bien volontiers que, dans le contexte actuel, ce modèle peut leurrer, hypnotiser. Le football a cette singularité de réunir génie, vulgarité, malice, violence : un imaginaire accessible, complexe, désirable, détestable.
Dans la matinée, j’étais tombé sur une émission radio ou une intervenante définissait le jeu de façon anthropologique et saisissante : la répétition d’actes dans un espace circonscrit. Elle établissait un parallèle entre parades nuptiales chez les animaux et l’idée du jeu en général. Il y avait comme un peu de séduction dans l’air.
La « fête » oscille entre plusieurs polarisations : le partage, l’autorisation, la démolition, la transgression. Au risque de passer pour un malade ou un cynique, je n’ai pas été surpris par la tournure des événements : il était évident que la fête allait partir en couenne.
- Une soirée privée dans l’espace public : la famille d’initiés avec ses petits secrets, avec l’enthousiasme de ses proches a croisé la colère de ses «enfants nés hors mariage» qui en ont été "rejetés"
- Un carnaval avec une inversion prévisible des identités et des rôles : le serf devient le champion, le misérable devient vedette tandis que les héros fuient par la petite porte et finissent par manger une pizza dans une honteuse discrétion.
Mais plus que tout, casser cet espace de contraintes, détruire l’inaccessible, se rembourser par le vol des diverses frustrations dominaient : derrière les crampons, le fascisme ordinaire installe tranquillement son décor ; je me lie aux autres dans un double égarement : des ego hypertrophiés en écho à une dilution extrême de chacun dans une masse incontrôlable, mais très contrôlée. L’avenir est radieux.