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Billet de blog 16 octobre 2014

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Les écœurantes campagnes de la prévention institutionnelle

Chaque année, en même temps que les feuilles mortes commencent à tomber, nos écrans sont envahis de spots qui ont pour finalité de nous faire adopter des comportements adéquats pour que nos vies soient longues et nos santés florissantes.

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Chaque année, en même temps que les feuilles mortes commencent à tomber, nos écrans sont envahis de spots qui ont pour finalité de nous faire adopter des comportements adéquats pour que nos vies soient longues et nos santés florissantes. On aurait tendance à considérer quand on y réfléchit deux secondes que cette intrusion institutionnelle est totalement inappropriée. De quoi vous mêlez –vous ? De quelle place parlez-vous ? Pourrait-on légitimement objecter.

La vie moderne est affaire de comportement, mais aussi de marchés, en l’occurrence publicitaire ou communicationnel. Le budget a été obtenu, l’agence retenue, le chef d’œuvre réalisé. À la manière des anciens qui décodent la forme des nuages, on sait qu’on voyage dans l’automne, surtout avant l’hiver et sa fin mortifère d’année, l’instant ignoble ou la clôture comptable de l’exercice récupère  l’argent non dépensé. On sait qu’on aura droit à son petit couplet hygiéniste et moralisateur, concocté par les experts dont la proximité au terrain est égale à la présence d’iceberg dans le désert du Sahara. La prévention routière, Tabac Info et consorts  viennent nous délivrer leurs petites prières ou culpabilisantes ou compassionnelles ou infantilisantes. On devrait s’arrêter plus longuement sur l’honnêteté de la forme du message (publicitaire) qui nous place en posture de gavage.  

Ne croyez pas que la prévention soit monocorde, on peut penser qu’elle a sa fashion week et ses tendances de l’année. 2014 est du tonneau existentiel, ontologique même ; il s’agit donc de faire parler les morts ou d’évoquer l’état édénique de la vie familiale. Franchement, c’est à vous dégouter de mourir ; il faudrait créer l’institut national de prévention de l’éternité ; le progrès est immense : il y a quelque temps, on nous parlait comme à des demeurés ; boire pas bien, rouler trop vite, boum, toi comprendre. 

Mais finalement, la petite musique assez stridente et qui donne envie de jeter l’écran par la fenêtre réside dans la vision totalement marchande du corps humain : ce capital santé qu’en tant qu’être rationnel et calculateur, nous saurons faire prospérer. La détestable définition de la santé de l’OMS, cet état de bien-être total et permanent qui médicalise la planète du vieux monde dans son alimentation, ses addictions, ses comportements sexuels. Le marché de la norme sanitaire crée ses petites chapelles, ses petites exclusions, ses parcours de soins, ses habitudes de consommation. Vive l’automne.

Car, imaginer qu’un discours transcendantal parlant d’un point de vue Canada Dry (ça avait notre gout, ça avait  notre odeur, notre apparence, mais ce n’était pas nous) puisse avoir une efficacité durable relève de la méthode Coué. Les évidences de la nécessité, du risque, du malentendu, de la violence, de la misère, de la joie, de la tension qui composent la vie quotidienne modèrent quelque peu le pompeux de ce discours institutionnel, ayant de forts relents nauséeux de conformisme bourgeois condescendant.  Ne projetons surtout pas la cohérence d’une vie préventivement correcte, elle serait pour une bonne part inaccessible et pour l’autre invivable.

Qu’est-ce qui nous motive à aller vers les voies royales du bien-être ? La possibilité concrète de le faire et des rencontres qui nous en donnent  envie. 

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