La prolifération des murs, clôtures en Israël, dans les enclaves européennes peut apparaître comme un archaïsme cruel à l’heure de mondialisation, de la libre circulation. Elle fait apparaître avec éclat des formes de sélection, d’excellence, car tout ne circule pas avec aisance et majesté. Elle met en avant que l’autorisation du déplacement doit forcément s’accompagner d’une moisson bienheureuse de profit : les capitaux, les cerveaux sont estampillés circulables. La protection croissante du transport aérien, ses portiques sophistiqués sont les palaces des élites ; dans cette caste, on circule au-dessus des nuages et des clôtures. Ce regard qui surplombe et ignore est un trait de la modernité. Sa carte du monde relie des aéroports, des centres commerciaux et des buildings, du rentable, du décidé utile.
On touche là à une inquiétante banalité des biopolitiques qui selon Foucault ont, je crois, trait à un droit de vie et de mort ; dérouler des kilomètres de fil de fer barbelé, monter des murailles en béton armé de plusieurs mètres de haut, s’équiper de caméras infrarouges visent à empêcher des populations pauvres qui s’agglutinent de passer d’un autre côté. On a même fait le deuil du découragement, on ne cherche plus à dissuader, on retient, on empêche, on stoppe. L’horrible chair à poisson de la Méditerranée, le terrifiant génocide de la pauvreté sont notre honte quotidienne, les eaux territoriales étant le lieu de comptage des morts, les eaux internationales, un nouveau camp de concentration.
Il est frappant que les frontières européennes et américaines étendent un espace de libre échange, élargissant un marché tout en cadenassant leur circonférence. Ne viens pas partager le gâteau dit la clôture, n’essaie même pas d’essayer. On assiste donc au regroupement de bien curieuses tribus autour de leur grotte et l’extension du domaine de l’intrus, celui qui n’est pas de la tribu. Sa chosification, son exclusion préalable l’excluent de toute humanité d’être singulier et parlant, une victime de guerre, un père de famille, un orphelin, un poète rêveur. Pourquoi vouloir parler à celui qui vient nous voler ?
La France, sans idéalisation, avec ses spasmes de haine bien répertoriés, a été un lieu de migration. Peut-on simplement justifier de la différence avec le présent sur le versant d’un développement économique perdu ? Ou ne peut-on pas considérer qu’il s’agit d’un raccourci saisissant de notre démission collective ? Le monde peut-il accueillir toute la misère de la France ? En tout cas, les derniers malchanceux, syriens, tunisiens ne sont pas les bienvenus.
On ne mesure pas assez la négation de l’ordalie, ce moment qui nous intronise dans le monde après la réussite d’une épreuve difficile. J’ai le sentiment qu’une fois avoir réussi à passer la frontière, l’immigrant, bon an, mal an, trouvait une petite ou grande place. Aujourd’hui, il reste intrus, indésirable, menacé.
Le luxe obsessionnel de technologie mis en œuvre donne son signal de l’intouchable. Tous ces dispositifs évitent la rencontre et le contact. L’archaïsme du gant en latex fait parfois peine à voir, ils deviendraient invisibles qu’on ne s’en porterait que mieux.
Mais, il ne faut pas croire que tout cela n’a pas de prix. Révélateur de haine et de mépris, il installe durablement un terreau de violence inévitable ou la seule logique viable sera celle de rester le plus fort ou de passer de l’autre côté de la clôture.