La langue nous fait encore des misères ; les diverses manifestations ostentatoires de la pauvreté, les mendicités intempestives, nos pare-brises agressés par des raclettes balkaniques nous font, dans notre barbe, pester contre tous ces gens venus de nulle part qui transforment notre malheur ressenti à une relativité d’opulence, au sentiment que la grande misère nous prive de quelque chose ce qui est un comble puisque la grande misère nous enrichit.
Mais nous aurions tort d’admettre que des gens viennent de nulle part : c’est un élément fort de la condition humaine que d’évoluer d’un point de départ à un point d’arrivée et comme dit le café du commerce, nous y passerons tous.
Ainsi donc, nos parcours individuels et collectifs s’étayent, se bonifient dans des parcours, pour certains, immobiles ; il y a quelque chose à bien vivre pour que le parcours prenne sens, pour que la mort ait un peu à nous courir après.
Si nous admettons que personne n’est de nulle part, nous devrions dire à la langue que le problème prend sa source dans notre refus que notre part puisse être un port d’attache ou un nouveau point de départ. C’est moins l’origine que le présent qui pose problème.
Il est particulièrement utile de se tenir en éveil en face de l’expression » avoir maille à partir » ; un très heureux contresens nous amène parfois à penser qu’on se trouve en face d’une œuvre de tricot et de son élément constitutif, la maille et qu’un lien, y compris conflictuel, nous lie à un lieu et des gens, fait rang, priorité et nous retient quelque part.
Fatale erreur : la maille était une pièce de monnaie minuscule du moyen âge, une anti richesse tellement pesante que les personnes ne pouvaient s’en départir, c’est-à-dire la partager. Ne restait qu’à se battre pour garder la possession du pas grand-chose.
Nulle part, maille à partir contribuent à notre lecture du présent dans la raréfaction des richesses, dans la perte du lien. Que de beaux projets en perspective.