Dans son acception brève de comptoir, l’auberge espagnole est modérément accueillante pour le repas. Il faut amener son manger mais on y dort bien.
Réunis par le sommeil, les voyageurs conservent leurs habitudes alimentaires. Il y a donc de tout à la table, le violemment épicé, le doucereux et le saumâtre, l’acide, le cuit, le cru mais l’auberge rassemble opportunément ce qui dit autre chose que le rassemblement des voyageurs.
L’auberge espagnole, façon tripoux corrézien a été ouverte par notre président à partir du 11 janvier. L’auberge est hantée d’un esprit de la même date qui vient chatouiller les vivants d’une bonne dose de culpabilité permanente. Il semblerait que le mot d’ordre incantatoire dépasse de loin nos possibilités collectives. Les imprécations théorico laïques, l’inflammation du superflu sans devenir, le lyrisme d’opportunité dérivent sur des réalités moins tapageuses et plus exigeantes.
L’emphase est rattrapée par le commerce des armes et le juteux des affaires : les rafales sont vendues bruyamment à une démocratie plus que très approximative, notre ministre de l’intérieur, preux défenseur des barrages et de l’ordre va décorer un tortionnaire marocain pour faire ami-ami et les chants de louange pour l’OTAN et l’Ukraine font un léger de bruit de casserole. Le jeune Macron aux dents longues torpille au nom de la modernité, le code du travail, le repos dominical, les protections collectives. Disloquer, raidir rythment les blablas de la cohésion sélective.
Il me vient ce constat de Gilles Deleuze autour d’autres contextes plus philosophiques ; il existe des situations, évènements qui sont trop grands pour les personnes qui les vivent et qui les débordent et les excèdent sans qu’ils en soient forcément responsables et comptables mais ça peut exister aussi. L’esprit de liberté s’accommode bien mal des sarcophages et de cultes syncrétiques
S’imposerait peut être alors un fâcheux mouvement de remplissage et de colmatage des fuites. Il faudrait tout dire, tout expliquer, tout rationaliser dans l’urgence à l’instant même où cette tentative d’appropriation brille par son inutilité prétentieuse alors que respecter le temps, l’élaboration serait une marque d’estime pour ceux qui sont morts , ne les rabougrirait ou ne les sanctifierait pas trop et éviterait de les faire parler à tort et à travers. C’est vrai, on a du mal à retrouver l’humour et la légèreté tout simplement parce que quelque chose s’est vraiment cassé et qu’il faudra du temps pour retrouver le gout de faire.
Il commence à y avoir quelque chose de pathétique dans la volonté de presser le petit lait jusqu’à la dernière goutte et de se dédouaner artificiellement d’une culpabilité par une sur présence médiatique. Quand on court en rond, on finit par se rattraper. On ne peut malheureusement pas échapper à des ressentis obsédants et à la complexité des causes, à l’aléatoire des conséquences, les pléthoriques nouveaux abonnés du Charlie massacré ne changeront pas grand-chose à l’affaire.