L’idée de guerre entre à nouveau en résonnance avec quelque chose d’audible en nous, interfère nos inquiétudes. Nous en étions restés à des commémorations, à du souvenir, à l’horreur d’un passé pédagogique qui nous disait « plus jamais ça ».
Il faut nous reconstruire une représentation à la guerre, déplacée avec un réalisme saisissant, pendant un court instant, sur les écrans de nos consoles : elle était devenue un jeu d’où le sang gicle, ou les corps souffrent, une horreur virtuelle, bien confortable.
Alors, c’est ça la guerre, des territoires ou des gens peuvent mourir à tout moment à la seule faute d’habiter là ou de passer par là. Elle désigne une revendication territoriale, poussée jusqu’à son paroxysme. Ici, c’est à moi avec mes hiérarchies, mes valeurs, mes allégeances et mes serfs.
Sans réduire le phénomène à une simplicité naïve, on peut néanmoins constater que la mondialisation heureuse, un monde sans frontières traversé par les réseaux et les jets relève de l’échec total et de la poussée suicidaire. La planète ouverte, l’endroit de nulle part, sans intériorité, c’est la porte ouverte à la loi du plus fort et du plus violent, du dépeceur sans scrupule. C’est lui d’ailleurs qui vend les armes et les distribue. Son désordre justifie tous les arbitraires les plus exotiques. Quand la main invisible du marché devient la main invisible de l’horreur universelle. Ce marché est captif et ses capacités de développement sont incommensurables, l’irruption inévitable des armes à feux dans les espaces de colère le traduit.
L’équilibre de la terreur nucléaire déplace un conflit binaire vers une accumulation de violences localisées, jamais vraiment soldées et ce sera ainsi tant que ça fera marcher le commerce.
Preuve de notre sidération, nous sommes incapables de reconnaitre les résistances que nous nommons sous le chapeau universel de terrorisme, le butin commode de notre tranquillité. Je veux dire par là qu’on a le droit de défendre sa tranquillité, mais en veillant à celle des autres. Notre tranquillité contre celle des autres, c’est une déclaration de guerre.
Il y a de quoi être inquiet : la déshérence des États, l’affaiblissement de l’ONU, la concentration des pouvoirs entre les puissants attaquent la démocratie et le dialogue possible. On arrive à un point critique ou la parole et la négociation deviennent comme des fardeaux qui pèsent.
Il faudra être fort pour les combattants de la liberté et de l’honneur d’échapper aux systèmes de surveillance généralisée. Les nouvelles résistances auront du mal à être visibles et discrètes, l’historique des recherches, les écoutes et les prélèvements ADN seront passés par là.
La guerre n’est pas loin tant elle nous touche au plus profond les menaces que nous ressentons au quotidien. Confusément, un malaise imperceptible nous convainc que notre intégrité est attaquée, que nos vies sont en jeu. Nous nous faisons à cette fatalité ; une concordance, une logique prennent forme entre notre dedans et notre dehors. D’une manière certaine, on nous y prépare, le sens de notre existence, concentré dans l’instant d’une ordalie, un héroïsme de fuite.
Aussi, étrangement, en ce mois de juillet, il faut se souvenir du cri de Jean Jaurès, à la veille d’une boucherie qui allait précipiter des millions d’hommes à l’abattoir. Dire la réalité des choses, désigner les vrais responsables, défendre la paix des hommes, nous devrions rendre visite à Jaurès.