Cinq siècles avant Jésus Christ, Sun Tzu dans l’art de la guerre écrit :
« Être plusieurs années à observer ses ennemis, ou à faire la guerre, c’est ne point aimer le peuple, c’est être l’ennemi de son pays ; toutes les dépenses, toutes les peines, tous les travaux et toutes les fatigues de plusieurs années n’aboutissent le plus souvent, pour les vainqueurs eux-mêmes, qu’à une journée de triomphe et de gloire, celle où ils ont vaincu. N’employer pour vaincre que la voie des sièges et des batailles, c’est ignorer également et les devoirs de souverain et ceux de général ; c’est ne pas savoir gouverner ; c’est ne pas savoir servir l’État. »
En première lecture, le constat parait prémonitoire et génial : L’actualité d’une guerre sans fin contre l’épouvantail terroriste nous parle immédiatement, le cerbère djihadiste à multiples têtes : ici, là-bas, ailleurs, avant, maintenant après, tout le temps, ponctuellement. Pour reprendre une phraséologie connue, la guerre sans début et sans fin, est ce encore la guerre ? Sans temporalité possible, la guerre est elle encore « humanité », ne devient elle pas une religiosité ? Si les gains de territoire, de sécurité ne sont pas au rendez vous, de quoi la guerre est-elle le nom ?
A l’évidence, deux profondes évolutions nous séparent de l’Univers de Sun Tzu
- Les notions de peuple et le pays : l’industrie guerrière n’est plus l’outil d’un peuple territorialement inscrit dans un pays, les causes à défendre sont d’une autre nature : elles s’élargissent dangereusement à un champ acculturé : point d’idéal et point d’idée mais le contrôle de la fluidité d’une circulation économique et la promotion de l’indifférenciation du monde. A cet endroit aussi, s’efface la figure du collectif au profit de l’individu. Il y a bien sur des valeurs à défendre contre l’obscurantisme et l’archaïsme, mais nous sommes nombreux à trouver qu’il s’agit davantage d’un prétexte que d’une ambition. Le constat tout simple réside dans l’extraordinaire prospérité que la civilisation triomphante concède depuis des années à l’obscurantisme et à l’archaïsme
- Les relations entre Front et arrière : le sacrifice des héros sur le Front au bénéfice de l’arrière disait un clivage poussé à l’extrême sur le modèle du planqué : le front défendait la sécurité, la richesse de l’arrière. Aujourd’hui, l’arrière, quand il s’en préoccupe, regarde le Front avec incompréhension, les images réelles ressemblant de plus en plus à des jeux électroniques. On les aura, mais qui ? Le quotidien de nos pays se dégrade, les précarités augmentent, contre qui doit on se battre? J’ai vu l’interview du Ministre de la Défense, rendant hommage au légionnaire tué : Je suis sans doute d’une indifférence affreuse, un très mauvais patriote mais j’ai senti un abîme entre ses mots et ma réalité et toute mort me consterne y compris celle de ce soldat mais je n’arrivai pas à faire ce soldat mien.
Passant devant un immeuble à Lyon, dans le quartier de Vaise, lors d’une déambulation très basique, je vis une plaque, apposée sur le mur d’un commerce, 51 rue de Bourgogne. Jean Jaurès, le 25 juillet 1914, avait, lors de son dernier discours, dit ceci :
Quoi qu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar.
La beauté véhémente du Verbe n’a pu empêcher la boucherie mais presque un siècle après, j’ai envie de porter l’humanité de Jaurès. Peut être que le risque aujourd’hui est moins la boucherie que le camp d’internement généralisé et son risque de très lente consomption. Aux flammes, citoyens.