La parole publique se retrouve au cœur d’un débat sur les limites du dire. Appréhendée faussement sous l’angle de la spontanéité, elle recèle généralement une usine à fabrication d’arguments et de présupposés. Sa visée, dans la guerre idéologique en œuvre, consiste à prendre le contrôle des émotions et des esprits. L’apparente improvisation masque la froide ossature d’une structure d’aliénation. Il y a du cabot et du sensible à exhiber pour convaincre. L’improvisation s’inscrit dans une partition en totalitarisme majeur. Le fortin des raisons de la colère est une position majeure à conquérir.
S’installant dans une désaffection pour l’écriture, la brutalité, le péremptoire de son propos sidèrent dans un immédiat sans devenir. Tout se joue là, tout le temps en plein déterminisme.
A l’écoute de Zemmour, on mesure la difficulté à lui tenir tête, à imposer la consistance et la réalité de désaccords et d’opposition sur le fond dans l’espace d’une histoire jamais jouée d’avance.
L’expression orale couvre de nombreux domaines. De l’interjection ou de l’injure qu’on pousse lorsqu’on s’est tapé sur les doigts avec un marteau au jugement à l’emporte-pièce, du grognement discret quand on veut parler au plus près et qu’on ne veut pas être entendu plus loin au dicton stéréotypé quand le temps est gris. La langue orale va du gros balourd au petit ouistiti quand le silence est d’or ou dort.
Le parler traduit un regard sur les choses ou les actes qui malmènent nos indifférences et nos passions. Si ça nous passait au-dessus de la tête, on la fermerait. Oh, mais ta gueule, nous dit quelquefois l’oreille exaspéré.
Généralement, l’expression orale est un panier bien garni ; de spontanéité, tout d’abord ; ça sort comme ça se présente ; d’émotion ensuite comme un trop plein (le trop est l’argument favori de l’extrême droite, ça fuit, ça déborde de toute part) ; d’anxiété ou d’angoisse enfin quand il faut retenir un monde qui fout le camp ou qui meurt.
Cette forme d’expression ramassée, volontairement simplificatrice a les faveurs médiatiques : recueillir toute parole même la plus idiote emplit économiquement l’espace sonore et la figure méprisable de la grande gueule, celui qui invective la terre entière pour l’assommer de certitudes et de suffisance génère une audience lucrative.
Dans ce monde bien impuissant, l’aisance vocale est un marqueur de puissance et on en redemande, toutes ces langues qui gardent le contrôle.
C’est le type même de faux débats puisque les attendus sont posés sur la table bien avant l’échange mais l’impression vivante qui s’en dégage fait espérer à chaque fois une mise à mort du contradicteur, une attente que le bec lui soit cloué (ce qui fait particulièrement mal)
On ne minimisera pas l’influence de la parole et du cri qui ont été et seront de remarquables catalyseurs de tuerie et de génocide. Il s’agit de tout autre chose qu’un jeu. Constater leurs vraies potentialités meurtrières appelle à des règles collectives. La loi punit les déclarations qui menacent et qui troublent mais rencontre de fait une difficulté car le dire n’est pas le faire. Est donc répréhensible, le dire qui dit qu’il va le faire.
L’humain peut donc penser des horreurs, parler très antipathique, dire des saloperies, c’est dans son capital de conscience. Il peut avoir raison, se tromper. Etre ou ne pas être ce qu’il est. Ce que la règle sanctionne : c’est l’incitation publique à préparer le pogrom, la ratonnade, l’extermination, la bastonnade ; En un mot, chauffer la meute.
Mais, empêcher les gens d’exprimer des idées d’inégalités, de race, de places immuables, de déclassement, de phobie de l’étranger relève d’une autre logique tant leur monotone palette exprime un ressentiment ordinaire, largement installé.
Zemmour n’est pas un historien, c’est un conteur. Il raconte une épopée que de nombreuses personnes ont envie d’entendre parce qu’ils y gagnent de l’importance et du sens. Que tout cela soit entièrement faux n’a strictement aucune importance.
Il faut donc se garder de fabriquer un faux martyr en cédant à la tentation première de lui faire fermer sa gueule. Avoir confiance dans le potentiel d’une autre parole pour s’opposer à la sienne, ne pas donner l’impression de fuir pour se réfugier dans les bras de la loi, il faut tenter de trouver une posture juste dans le brouillard des significations. Si la politique pouvait produire plus de justice et d’égalité, le Zemmourisme fondamental s’évanouirait.